Amande Pichegru a été élue Grand Maître National de la Fédération Française Du Droit Humain, le 27 août 2021. Après une période de repli causée par la pandémie de Covid-19, le nouveau grand maître souhaite « réunir ce qui est épars », et renforcer une fraternité quelque peu malmenée. Temps fort de l’obédience le centenaire de la Fédération française le Droit Humain, qui sera célébré en novembre.
Hélène Cuny : Ce centenaire est l’occasion de rappeler l’importance de la dimension internationale du Droit Humain.
Amande Pichegru : Oui en effet. Le 1er convent international de l’Ordre s’est tenu en août 1920. Il a donné le cadre nécessaire pour qu’à l’intérieur de chaque pays se construisent des structures nationales, en particulier la Fédération française dès 1921. Ce centenaire sera célébré à Paris le 6 novembre prochain. Mais l’histoire de notre obédience a démarré bien plus tôt : on doit la création du Droit Humain en France à deux personnalités hors norme : Maria Deraismes et Georges Martin. Ce dernier, médecin et franc-maçon était engagé politiquement et socialement ; fervent défenseur de la justice sociale qui représentait à ses yeux « la vérité » permettant l’accès au bonheur, à l’égalité de tous à tous les droits, il croise la route de Maria Deraismes éminente intellectuelle, féministe et journaliste, dès les années 1880. Maria Deraismes est alors souvent invitée au Grand Orient de France pour donner des conférences. Georges Martin a souhaité la faire entrer en franc-maçonnerie, mais la franc-maçonnerie à l’époque n’acceptait pas les femmes. Il a donc transgressé l’interdit en créant la première loge le Droit Humain en 1893. Il voulait montrer que la femme avait tout autant le droit à l’initiation et à l’élévation spirituelle que l’homme.
HC : Comment définiriez-vous le Droit Humain aujourd’hui ?
AP : Le Droit Humain s’inscrit dans la totale continuité de ses fondateurs. L’engagement social est toujours là. Mais l’engagement initiatique est tout aussi important. Ces deux piliers sont sur un pied d’égalité avec, primordiale, la mixité, ADN de notre obédience. Aujourd’hui le Droit Humain en France compte 16 000 membres répartis dans 498 loges. Au niveau international, l’Ordre est implanté dans plus de 60 pays.
HC : Quels sont les sujets phares portés par le Droit Humain ?
AP : Notre dernière publication concernait les vaccins avec une question : les vaccins contre la Covid-19 doivent-ils être des biens communs de l’humanité ? Cette interrogation est d’autant plus légitime que comme l’a indiqué notre commission Bioéthique que je cite, des fonds publics à hauteur de 18 milliards ont été versés pour financer la recherche et les essais cliniques tout en laissant la propriété intellectuelle aux industriels. Il nous semble impératif de revenir sur ce dispositif juridique et économique. La commission Bioéthique travaille également sur le bien vieillir. Notre commission Droits de l’Homme et laïcité est aussi très active. La commission Perspectives sociétales a mis en chantier un projet sur la lutte contre les discriminations dans l’optique de rendre notre société plus juste et fraternelle. Nous mettons aussi l’accent sur la jeunesse. La pandémie a durement frappé la tranche des 18-25 ans. La difficulté des jeunes à se projeter dans un proche avenir amplifie les fractures de la société, notamment entre les générations. Au-delà des conséquences directes de la pandémie, la crainte d’un appauvrissement de la vie citoyenne et de la démocratie se profile. Nous sommes convaincus que cette crise offre des opportunités que l’Europe doit saisir et c’est sans doute vers sa jeunesse qu’elle doit faire porter une grande partie de ses efforts.
HC : Abordons justement cette dimension. En janvier prochain, la France prendra la présidence de l’Union européenne. Quelles actions sont menées par le Droit Humain à cette échelle ?
AP : Le DH est engagé à différents niveaux : nous sommes tout d’abord inscrits dans le registre de transparence ce qui nous permet d’être reçus à la Commission européenne dans le cadre de l’article 17. Par ailleurs, nous faisons partie du think tank COMALACE (Contribution des Organisations Maçonniques Adogmatiques et Libérales à la Construction Européenne). Le groupe, créé en 2017 représente onze pays (Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Liban, Luxembourg, Portugal, Roumanie, Suisse, Turquie) et dix-sept obédiences maçonniques européennes qui participent très régulièrement à l’ensemble des travaux de la Commission européenne. L’Europe est un espace qui doit promouvoir la démocratie. Nous soutenons toutes les actions qui vont en ce sens.
HC : Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
AP : J’ai été initiée au Droit Humain il y a 20 ans et je travaille aujourd’hui à Couleurs d’arc-en-ciel et Fleurs d’humanisme, deux loges situées à Strasbourg. Mon parcours professionnel s’est effectué dans l’Éducation nationale. Je dois dire que mon entrée en franc-maçonnerie a profondément modifié mon regard sur les personnes que je formais. La fraternité n’est pas un vain mot. Cela s’est senti, et en retour, j’ai reçu bienveillance et tolérance, des valeurs que l’on cherche à développer en loge.
HC : Comment réagissez-vous face au regain d’attaques dont fait l’objet la franc-maçonnerie ?
AP : Nous devons nous montrer, expliquer qui nous sommes et surtout ne pas nous renfermer sur nous-mêmes. Notre objectif est de promouvoir l’égalité des droits pour tous. Le franc-maçon défend le système démocratique, basé sur les libertés individuelles. Dans mes projets, je souhaite donner davantage de conférences, les décliner en régions afin de donner la parole aux francs-maçons de notre Ordre. Dans la lumière des temples nous n’oublions pas les ombres qui envahissent la cité.
Maria Deraismes : une pionnière
Femme de lettres, journaliste et féministe, Maria Deraismes (1828-1894) mène ce qu’elle appelle une « politique d’agitation légale » en faveur des droits des femmes et des enfants. Fervente républicaine, elle devient en 1882 la première femme à être initiée en franc-maçonnerie.
L’initiation de Maria Deraismes a été rendue possible grâce à la création en 1879 de la Grande Loge Symbolique Écossaise. Un atelier de cette obédience Les Libres penseurs du Pecq a pris l’initiative d’inscrire dans ses règlements la possibilité d’être mixte. En novembre 1881 le vénérable Alphonse Houbron prend contact avec Maria Deraismes et la cérémonie d’initiation a lieu le 14 janvier 1882. De nombreux visiteurs sont présents, dont le docteur Georges Martin. Après son initiation Maria Deraismes ne fait partie d’aucune loge. C’est Georges Martin qui va reprendre le flambeau. En juin 1892 il réunit chez les sœurs Deraismes des femmes que celles-ci ont choisies. Il leur explique ce qu’est la franc-maçonnerie. Aussi les 14, 24 mars et 1er avril 1893 Maria Deraismes les initie. Le 4 avril 1893, Maria Deraismes et Georges Martin créent avec les nouvelles initiées la Grande Loge Symbolique de France le Droit Humain. C’est la première loge mixte. En 1901 elle fait place à l’Ordre Maçonnique Mixte International le Droit Humain.