Pompiers, médecins, infirmiers, cheminots, étudiants, retraités, citoyens, ils sont plusieurs centaines de milliers à manifester leur mécontentement depuis plusieurs mois, contre les différentes réformes sociales annoncées par le gouvernement Macron. Rien ne semble pourtant ébranler un Chef de l’État arc-bouté sur ses positions… Jusqu’à en oublier le processus démocratique ? Analyse, avec André Bellon, Président de l’Association pour une Constituante.
Propos recueillis par Hélène Cuny
Hélène Cuny : Dans le contexte de fort mécontentement social que nous traversons, faut-il saluer la stabilité de notre gouvernement ou s’en inquiéter ?
André Bellon : En démocratie, un gouvernement pour être tenu pour légitime doit avoir le soutien d’une fraction substantielle de la population. Or le moins que l’on puisse dire c’est qu’aujourd’hui, devant la multiplication des mouvements sociaux, on peut douter de cette légitimité. La période actuelle pose la question de nos institutions qui sous couvert de stabilité ont conduit à l’instabilité sociale. Elle me rappelle en cela celle de la présidence de Mac Mahon de 1873 à 1879. Le maréchal avait formé un gouvernement fermé à toute contestation et se trouvait face à une population imprégnée d’esprit républicain. La confrontation fut inévitable.
HC : L’idée de peuple ferait-elle peur ? Faut-il assimiler le mouvement des gilets jaunes à une forme de populisme ?
AB : On assiste, chez nos concitoyens, à une montée en puissance d’un sentiment de frustration provoqué par l’attitude d’un gouvernement se montrant sourd à toute revendication. Quant à l’idée de peuple, il conviendrait sans doute de rappeler l’article 3 de notre Constitution qui énonce « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Il n’y a donc pas à avoir peur du peuple. On doit aux « gilets jaunes » d’avoir réintroduit dans le débat cette notion, mais il faut souligner qu’ils ne sont pas le peuple dans son entièreté, mais une fraction de celui-ci.
HC : Serions-nous entrés dans le champ de ce qu’on appelle les démocraties « illibérales », privées de droits ?
AB : On ne peut pas indéfiniment employer le mot démocratie — jusqu’à s’en gargariser — et dans le même temps en bafouer les principes fondamentaux, sans quoi on aboutit à des formes de totalitarisme. La philosophe Annah Arendt l’a très bien démontré. Une démocratie sans souveraineté du peuple et sans droits n’existe pas. La France, en quelques décennies a multiplié les dérapages. Je trouve particulièrement regrettable que François Mitterrand n’ait pas démissionné en 1993 après la « claque » des élections législatives. En démocratie, qui impose dignité et responsabilité, la démission fait aussi partie de l’attitude commune. Par ailleurs, qu’a-t-on fait de la souveraineté du peuple, lorsque, contre son avis, en 2005 a été ratifié le traité de Lisbonne ? À trop multiplier le déni de démocratie, notre pays risquerait d’évoluer vers des formes de gouvernance plus totalitaires, car la contradiction n’est pas soutenable à terme.