Culture

Alain Bauer et Roger Dachez signent L’Encyclopédie des franc-maçonnes et des francs-maçons

Alain Bauer (à gauche) et Roger Dachez. NGH Presse

Sous la plume de l’historien Roger Dachez et du criminologue, ancien grand maître du Grand Orient de France Alain Bauer, vient de paraitre chez Gründ L’encyclopédie des franc-maçonnes et des francs-maçons. Figures de l’Histoire ou illustres inconnus, près de 400 portraits composent cette galerie pour le moins éclectique. Autant de vies qui ont contribué à faire de la franc-maçonnerie ce qu’elle est aujourd’hui. Entretien.

Hélène Cuny : Avec cet ouvrage, quelle image souhaitez-vous donner de la franc-maçonnerie ?
Alain Bauer : Ma position a toujours été claire : la franc-maçonnerie n’est pas un secret et il n’y a rien à cacher. Cette volonté de secret vient du trauma des pays ayant vécu l’Occupation nazie ou subi des dictatures. Rien de tel aux États-Unis où les insignes maçonniques s’arborent sur les pare-brise de voiture. Ce secret nous l’avons intériorisé, pourtant dans les grandes villes françaises et en Europe, on trouve encore des temples qui portent sur leur fronton l’inscription « temple maçonnique ». J’ai découvert qu’avant-guerre, la franc-maçonnerie vivait très bien au grand jour. Nous avons, avec Roger Dachez mis en place de nombreux projets — colloques, journées portes ouvertes des temples, conférences publiques, etc. — et cette encyclopédie s’inscrit dans un même esprit d’ouverture allant à l’encontre d’une maçonnerie des cavernes. 

HC : D’un point de vue historique, avez-vous fait des découvertes majeures ?
Roger Dachez : Longtemps la littérature historique a boudé la biographie, considérée comme un genre mineur dont on ne voulait pas entendre parler. Mais, un renversement s’est produit il y a une trentaine d’années grâce notamment à Jacques Le Goff, auteur d’une célèbre biographie de Saint-Louis. Puis des dictionnaires prosopographiques ont vu le jour et se sont multipliés. L’idée était de faire le portrait d’un personnage en l’immergeant dans son époque. C’est à la fois rigoureux sur le fond et facile à lire. Notre encyclopédie s’inspire de ce modèle. Il me semble aussi que l’on a souvent fait l’histoire des institutions de la franc-maçonnerie et un peu oublié qu’elle a vécu grâce aux hommes et aux femmes qui en étaient membres. Lorsque l’on fouille dans la vie de ces personnages, on découvre toujours des détails, des choses méconnues, mais en réalité, le plus intéressant à mes yeux est de montrer que tous ces portraits forment une galerie incroyablement hétéroclite. Prenons Édouard VII et Louise Michel, tout les oppose, sauf que l’un et l’autre étaient maçons. On se rend compte qu’iI n’existe pas de franc-maçon type. Des personnes dans des contextes historiques et culturels différents se sont tournées vers la franc-maçonnerie. Pour certaines la maçonnerie a joué un rôle déterminant et pour d’autres elle a été vécue sur un mode beaucoup plus intime. 

HC : Qu’est-ce qui relie tous ces personnages entre eux ?
AB : On retrouve des valeurs communes. La plus fondamentale est la liberté de penser ; c’est l’élément structurant de tout ce qui précède et accompagne la création de la franc-maçonnerie qui naît dans un pays ravagé par les guerres civiles et les religions. Partons d’un moment singulier de l’histoire des sciences : avec son travail sur la lumière, Newton, premier grand scientifique moderne et dernier des alchimistes anciens, remet en cause la lumière divine. Autour de lui, Robert Moray, Elias Ashmole créent le Collège invisible et avec lui la science, l’idée de transmission. La Royal Society voit ensuite le jour en 1660, les principes de cooptation y sont les mêmes que celui de la loge. On se réunit dans une taverne en évitant les sujets de discorde, le pouvoir et la religion. Rapidement, on prend conscience du droit de se parler ; les nobles et les non-nobles trouveront dans la loge un espace de dialogue ; on va aussi élire des présidents de loge ; le processus se répand et ces valeurs vont irriguer la franc-maçonnerie : nous sommes ensemble, nous sommes des égaux — au moins dans cet espace. L’idée que le débat ait lieu, que l’on écoute ce que l’autre a à dire jusqu’au bout et considérer que toutes les opinions puissent s’exprimer constitue le socle des valeurs communes partagées par les hommes et les femmes présentées dans cette encyclopédie.

HC : La première partie de l’encyclopédie est consacrée aux « Ancêtres ». Pourquoi avoir introduit ce corpus légendaire ?
RD : Rappelons que la franc-maçonnerie est fondée sur des légendes qui lui ont donné son répertoire de symboles, ont justifié ses rituels et l’ont ancrée dans une tradition. Parmi ces « ancêtres », Pythagore, Moïse, Noé, Tubalcaïn, Charles Martel… certains ont existé, d’autres pas. L’idée a été de les considérer comme de vrais personnages, car ils habitent la franc-maçonnerie qui en retour leur a donné une existence. Prenons le cas d’Hiram Abif. Si dans la Bible il est un personnage tout à fait secondaire, la franc-maçonnerie l’a propulsé sur le devant de la scène. Nous avons souhaité traiter cette partie de leur identité au même titre que les francs-maçons de chair et de sang. 

HC : Lorsqu’on parcourt toutes ces biographies, on remarque le nombre important de maçons engagés sur le plan social, scientifique, politique. Que peut-on dire de l’engagement des maçons aujourd’hui ? 
AB : Longtemps la franc-maçonnerie a été le seul endroit où l’on pouvait discuter de ce qui était interdit ailleurs. Cette spécificité a certes disparu, mais l’engagement des francs-maçons existe toujours. Les maçons que l’on ne voit pas au niveau institutionnel sont impliqués dans des associations, dans des groupes. Au Grand Orient de France, on considère que le franc-maçon est engagé tout comme l’institution ; ailleurs on dira la franc-maçonnerie est nulle part, mais les francs-maçons sont partout. Très tôt, la franc-maçonnerie a soutenu la République. Rappelons que les loges du Grand Orient de France sont membres fondatrices du Parti républicain radical (1901). Et en 1942, lorsque le Général de Gaulle, peu connu pour être un philomaçon naturel déclarait à Alger que la franc-maçonnerie devait être rétablie, il envoyait un signal fort sur le statut particulier de cette institution, pilier constitutif de la République. Le droit de mourir dans la dignité, la contraception, sujet porté par la Grande Loge de France, le revenu minimum d’insertion sont des questions qui mettent du temps à maturer. Je ne suis pas inquiet sur notre capacité à produire des idées, je le suis plus sur celle de le faire suffisamment vite et avec suffisamment d’implication. 

HC : Une section de votre encyclopédie concerne les maîtres à penser. Selon vous, d’un point de vue plus philosophique, vers quoi la franc-maçonnerie se dirige-t-elle ?
RD : On remarque deux évolutions paradoxales : la baisse tendancielle, après la Seconde guerre mondiale de la maçonnerie anglo-saxonne, jusque-là très largement dominante dans le monde et dans le même temps la montée en termes d’effectifs de la maçonnerie continentale européenne. On pourrait affirmer que c’est cette maçonnerie, plus sociétale, plus engagée, moins portée sur certains aspects rituels, symboliques ou traditionnels qui a le vent en poupe, préfigurant ce que pourrait être la franc-maçonnerie dans le futur. C’est en partie vrai. Mais, une observation plus fine de l’évolution de cette maçonnerie continentale révèle des variantes ; l’interventionnisme massif de la maçonnerie dans le débat politique n’existe quasiment plus aujourd’hui. Inversement, depuis l’après-guerre, le fameux rituel dit Groussier, publié en 1955 a traduit un regain d’intérêt de la maçonnerie pour ses références traditionnelles. Après la tradition maçonnique du XVIIIe siècle, celle largement politisée de la IIIe République, c’est comme si la maçonnerie avait tiré les leçons de toute son histoire. Peut-être, pourrait-on y voir le modèle de l’avenir, une franc-maçonnerie pluraliste cultivant le consensus, et se tenant à distance de ses excès historiques.

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