Montrez cette illustration à n’importe quels apprenti, compagnon ou maître et demandez-lui : « Qui est représenté ici ? » on vous répondra à coup sûr : « Le Grand Architecte de l’Univers ». Vous pourrez alors rétorquer : « Pas du tout, c’est Urizen ! Et ceci n’a rien à voir avec la franc-maçonnerie ».
En effet, combien de loges maçonniques arborent fièrement cette gravure de William Blake sur les murs de leur temple sans savoir qu’elle représente un Dieu issu de l’imagination de l’artiste, Urizen ? Nous sommes en 1794 et William Blake publie une parodie de la Genèse en vers : The First Book of Urizen dans laquelle il raconte sa propre vision de la création de l’univers et du monde par un démiurge obscur formé de lui-même : « Une ombre d’horreur se lève/Dans l’éternité ! Inconnue, non prolifique ! /renfermée sur elle-même, toute repoussante : quel démon/A-t-il formé cet abominable vide/Cette âme frémissante vide ? — Certains ont dit/“C’est Urizen”, mais inconnu, abstrait/Tel un obscur secret, le pouvoir obscur se cache. »
Cette mythologie s’enrichit et se reconstruit elle-même dans les ouvrages suivants. Mais le point commun est qu’Urizen se retrouve être pour Blake une allégorie de la puissance satanique, un déchu qui formait un Dieu unique avec les trois entités de la Trinité. Le bien n’existant pas sans le mal.
Créant le monde, il l’enchaine aux lois de la raison contenues dans des livres qui représentent la science, la guerre, l’amour et la sociologie. Ces lois permettant de dépasser l’influence des 7 péchés capitaux. Cette cosmogonie, compliquée, absconse et dont seul un aperçu minuscule est présenté ici n’explique pas en soit le succès de la gravure. Il faut y voir la réputation de l’œuvre de Blake et surtout la volonté des francs-maçons de donner une image à un Grand Architecte de l’Univers difficile à représenter concrètement. Et qui ne dispose que de peu de représentations figuratives dans le domaine de la peinture. Il y a, en toile de fond une volonté humaine de s’approprier une œuvre, quitte à la détourner de son sens premier pour la faire rentrer dans une considération arrangeante. Faisant ainsi dépasser à cette gravure à l’eau-forte les frontières du temps.