La Géorgie est-elle en Europe ou en Asie ? La question mérite d’être posée, du moins sur le plan politique puisqu’ici à tous les coins de rue le drapeau de l’Union Européenne s’affiche au côté du drapeau géorgien. Chose étrange si l’on considère que le grand voisin turc, qui a un pied dans l’Europe géographique n’est pas près de rentrer dans l’UE.
Les raisons de l’engouement européen des Géorgiens sont de deux ordres. Le premier tient à d’évidentes raisons géopolitiques. Depuis la chute de l’Union Soviétique, la Russie, dont on sait le peu de cas qu’elle fait de la volonté des peuples, a participé au démembrement de la Géorgie en soutenant les sécessions de l’Abkhazie à l’ouest, et de l’Ossétie au nord, privant ainsi le pays d’un quart de son territoire, entraînant l’afflux de milliers de réfugiés dont beaucoup vivent encore dans des conditions misérables trente ans plus tard.
L’autre raison est civilisationnelle. C’est à dire religieuse. Avec l’Arménie, la Géorgie se considère comme l’avant-poste de l’Europe chrétienne aux confins de l’Asie musulmane, qualité qu’elle arbore sur son drapeau frappé de la Croix.
Le fait est qu’ici la religion orthodoxe tient lieu d’identité au même titre que le catholicisme en Pologne. Le pays consacre énormément d’argent à l’édification et à la rénovation d’églises et de monastères abandonnés et dévastés à l’époque où le géorgien Joseph Djougachvili alias Staline imposait la terreur dans son propre pays d’origine. Mais n’allez pas dire à un Géorgien du mal de celui dont les images ou les bustes en porcelaine s’affichent dans les boutiques de souvenir. Plus que le vainqueur du fascisme — après avoir été son allié — Staline est admiré pour avoir été le Géorgien qui en a fait baver aux Russes. Et cela suffit.
Quant à la franc-maçonnerie, son histoire est au moins aussi complexe que celle de la Géorgie. Au XIXe siècle son histoire s’est confondue avec celle de la franc-maçonnerie russe, exception faite de quelques loges géorgiennes ouvertes à Paris sous l’égide du Grand Orient de France.
Il faut ensuite attendre la chute de l’Union Soviétique pour voir timidement réapparaître une Grande Loge de Géorgie constituée sous les auspices de Grandes loges étrangères, principalement de Turquie et de Russie. Mais bien que numériquement très faible, l’histoire de cette Grand loge, fut jusqu’en 2015 une succession de scissions et querelles diverses. Depuis cette date, l’obédience, souveraine et officiellement reconnue par l’état, revendique 7 loges dont 5 dans la capitale, Tbilissi. Reste que si la Grande Loge de Géorgie se veut « régulière » elle ne figure pas pour l’heure dans la liste des obédiences reconnues par la Grande Loge Unie d’Angleterre.
La plupart des loges portent le nom d’anciens souverains géorgiens, ce qui traduit un profond sentiment nationaliste, sentiment qui se retrouve aussi dans la très ancienne passion des Géorgiens pour leur vin, aujourd’hui une des principales expressions de leur identité. Si l’on cultive la vigne depuis au moins 8000 ans dans un pays où l’on a recensé 552 cépages, les vins géorgiens n’étaient guère qualitatifs à l’époque où l’Union Soviétique leur offrait leur principal marché. Mais les circonstances politiques, supprimant brutalement ce débouché, les vignerons géorgiens se sont vus contraints de relever la qualité de leurs produits. La démarche qui se poursuit ne rejette pas pour autant la tradition. La principale originalité consiste à vinifier les raisins dans de grosses jarres enterrées appelées « Kvévris » dont les parois sont enduites de cire d’abeille. De ce fait, les vins blancs sont vinifiés comme des rouges et la macération du jus avec le marc donne d’étranges vins de couleur orangée à la saveur étrange qui ravira les amateurs de vins naturels. C’est là, sans doute, une des plus pures expressions de l’identité d’un pays tout aussi fier qu’hospitalier.