Beaucoup ont cherché à comprendre comment j’ai pu imposer ma manière d’être et mon élégance raffinée pendant une vingtaine d’années à la haute société londonienne, alors que je ne suis ni riche, ni de naissance noble, ni vraiment beau, notamment après avoir eu le nez brisé à la suite d’une chute de cheval.
En dépit de tous ces handicaps, dont celui de n’être qu’un roturier, je deviens l’arbitre suprême de l’élégance. Je suis admiré par le futur roi Georges IV ainsi que par le poète Lord Byron. J’ai vu le jour à Londres à la fin du XVIIIe siècle dans un milieu bourgeois. Je fais des études à Eton puis à Oxford avant de devenir militaire dans un régiment de hussards. C’est à cette époque que je fais une rencontre déterminante avec le prince de Galles, futur Georges IV. Non seulement il me fait promouvoir capitaine, mais grâce à notre amitié, il me présente à toute la meilleure société aristocratique de Londres. Dès lors, je deviens la référence et l’arbitre en matière de mode et de chic. Je suis réputé pour mes belles manières, ma démarche élégante, mon port de tête aristocratique et mon esprit caustique. À ma majorité, j’hérite d’une fortune de plusieurs milliers de livres de mon père. Je dilapide mon héritage en achat de vêtements sur mesure, en jeux de hasard et en train de vie luxueux. Je ne sors jamais sans être impeccablement lavé, rasé et parfumé, portant du linge parfaitement amidonné, revêtu d’un manteau bleu foncé à la coupe impeccablement taillé, avec une cravate savamment nouée, ce qui me demande quotidiennement plusieurs heures de préparation dédiées à soigner mon apparence. Je renonce à la poudre et au port de la perruque et me fais couper court les cheveux, à la romaine. Je deviens le promoteur d’une mode raffinée, je fais abandonner la culotte moulante et le port de couleurs criardes pour le pantalon tube de couleur sombre, le plus souvent bleu foncé ou noir, admirablement coupé, assorti d’une redingote, accompagné d’une cravate que je mets longtemps à nouer parfaitement. Mon élégance recherchée, mais discrète impressionne. Ma renommée est liée à l’attention particulière que je porte au moindre détail de mon apparence vestimentaire. Mon style, appelé « dandysme », devient la marque de l’élégance et du raffinement dans la haute société. Après avoir perdu la faveur royale en raison de plusieurs de mes impertinences et bien que devenu sans protecteur, je continue malgré tout à être courtisé par les responsables de la mode londonienne et à leur imposer mes conceptions vestimentaires. Sous l’influence de mes amis fortunés, je me mets à dépenser sans compter, notamment au jeu où j’accumule des dettes considérables. Ma fortune évanouie, je connais la faillite, ce qui me contraint à modifier mon mode de vie. Dès lors, je ne sors de chez moi que la nuit pour fuir la horde de mes créanciers. Afin d’échapper à la prison pour dettes, je me vois contraint de m’exiler en France. Lors de mon départ de Londres, tous mes biens sont vendus aux enchères. Grâce à une souscription lancée en ma faveur, par le duc de Beaufort et par un lord de mes amis, je parviens à régler toutes mes créances. Je m’installe à Caen où je suis initié par la loge Thémis du Grand Orient de France, en 1831. Certains pensent que mon admission en franc-maçonnerie relève d’un acte de solidarité. Avec l’aide d’amis aristocrates britanniques, j’obtiens le poste de consul de Grande-Bretagne que j’occupe durant sept ans. Après la perte de mon poste, je ne peux plus vivre en prince dans le confort et le luxe. Dès lors je cesse de m’habiller, de me laver et de me raser. Ruiné, n’étant plus en mesure de subvenir à mes besoins, je connais la prison pour dettes, puis l’hospice où je meurs à 62 ans de démence, après avoir contracté la syphilis. Je suis inhumé au cimetière protestant de Caen. Au XIXe siècle, j’ai inspiré à l’écrivain français Barbey d’Aurevilly un essai philosophique sur le dandysme. En 1930, le grand magasin du Printemps donne mon nom à sa marque de mode pour homme. À Londres, ma statue trône dans la rue des tailleurs.
Solution du Maçon mystère du n° 87 : Il s’agissait de la philosophe et scientifique Clémence Royer, née le 21 avril 1830 à Nantes et décédée le 6 février 1902 à Neuilly sur Seine. De l’ensemble de ses livres Le Bien et la loi morale est son œuvre capitale fruit de trente années de méditation.
Solution du « maçon mystère » du n°87 : Il s’agissait de la philosophe et scientifique Clémence Royer, née le 21 avril 1830 à Nantes et décédée le 6 février 1902 à Neuilly sur Seine. De l’ensemble de ses livres Le Bien et la loi morale est son œuvre capitale fruit de trente années de méditation.