Plat ancestral, symbole des vertus familiales, le pot-au-feu est sans nul doute notre plat national. D’autant qu’on y fourre dedans un peu ce que l’on veut, au gré des régions, au gré des saisons, au gré de notre fantaisie. Le pot-au-feu est en tout cas le plat le plus consensuel et le plus convivial de l’hiver, réussissant la gageure d’être populaire chez les bourgeois, chez les paysans et chez les ouvriers.
L’homme ayant inventé le feu (et l’art des grillades), lassé de cuire ses aliments dans des papillotes végétales, a inventé le pot – contenant qui allait se décliner en pots, marmites, chaudrons, faitouts, cocottes, toupins, oules et autres creusets où procéder à d’alchimiques mijotages –, inventant ainsi l’art culinaire… et donc la gourmandise, la nourriture devenant de ce fait gastronomique. Toutefois, il ne faut pas confondre le « pot » à pot-au-feu, débonnaire et docile, élancé et accueillant – qui reste ouvert pendant la cuisson – et la marmite, petite cachottière (à cause de son couvercle). Le mot marmite signifiait en effet hypocrite en vieux français (XIIe s.).
La recette
Le pot-au-feu se décline d’innombrables façons, régionales ou familiales, mais il y a tout de même des règles à respecter. Pour la viande, il est nécessaire de choisir des « bas-morceaux » à bouillir : plat de côtes, macreuse, gîte, paleron, jumeau auxquels on peut adjoindre de la queue et de la joue. Plus il y aura de morceaux différents, plus le pot-au-feu sera goûteux. Il est bien de prévoir aussi des os à moelle. Idem pour les légumes : poireaux, carottes, navets, panais (pas trop pour ne pas sucrer le bouillon), pommes de terre (cuites à part) et bien sûr oignon clouté et bouquet garni.
Parmi les variantes régionales, citons le « Hochepot » flamand (plat de côtes et queue rejoints par une oreille de cochon) ou le « Bouilli » des Landes et du Béarn où l’on ajoute un jarret de veau (consommé le lendemain avec un coulis de tomate), voire une poule. Il en est aussi de mythiques : le pot-au-feu en quatre services de Dodin-Bouffant qui comporte encore une poularde, un foie gras cru, un saucisson pistaché de Lyon, etc. ; le potage à la jambe de bois : pot-au-feu très dense où se côtoient de nombreuses viandes (jarrets de bœuf et de veau, volaille de Bresse et poule faisane), ainsi qu’un os à moelle très long, d’où son nom. Car vous l’aurez compris, le gros atout du pot-au-feu c’est évidemment que, mieux que n’importe quel autre plat, il permet de régaler ses hôtes « à la fortune du pot ».
Une farandole de restes
Le bouillon peut se boire tel ou agrémenté de vermicelles ou de tapioca, ou encore passé avec des légumes. Les viandes se prêtent quant à elles à une infinie déclinaison de recettes délicieuses : bœuf miroton, boulettes et croquettes, salade bouchère (en cubes avec des herbes), hachis parmentier, gratins, carbonades, terrines en gelée, etc., etc. Ce serait d’ailleurs parce qu’ils sont soucieux de cette bonne économie domestique que les bourgeois l’auraient adopté. De là à devenir soi-même pot-au-feu !
Un plat de pauvres auquel de grandes plumes ont rendu hommage
Au XVIIIe siècle, Mirabeau disait : « Le pot-au-feu du peuple est la base des empires. » De son côté, Goethe affirme : « Tous les peuples ont un potage, la France seule a le pot-au-feu. » Au XIXe – mais la recette s’était embourgeoisée – Alexandre Dumas, grand gastronome renchérira : « Le pot-au-feu est la clé de voûte de la gastronomie française. » Pas en reste, Gustave Flaubert dans Madame Bovary écrit : « Toutes ces nourritures épicées finissent par vous échauffer le sang et ne valent pas, quoi qu’on en dise, un bon pot-au-feu. »