La découverte du calque d’un manuscrit avestique à la Bibliothèque Royale de Paris semble être le point de départ d’une passion qui poussera Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron (1731-1805) à entreprendre un fabuleux voyage en Inde.
Impatient, le jeune homme âgé de seulement 23 ans s’engage comme soldat dans la Compagnie française des Indes orientales. Il posera le pied sur le Sous-Continent en 1755 après un itinéraire qui à l’époque contournait l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance.
En fin observateur, il s’immerge dans la culture indienne. Il s’intéressera en particulier aux parisis, cette communauté zoroastrienne originaire d’Iran établie principalement dans l’ouest de l’Inde vraisemblablement dans le courant du VIIIe siècle. Se familiarisant avec le persan, mais également le pehlevi et l’avestique, l’orientaliste se penche sur les pratiques rituelles et les textes sacrés.
Après la prise de Pondichéry en 1762 par les troupes anglaises, Anquetil-Duperron rentre en Europe. Son voyage aura duré sept ans. Sept ans au cours desquels, il a glané un corpus textuel encore inédit en Occident. Une escale à Oxford lui permet de faire part de ses trouvailles à l’orientaliste Thomas Hyde. Tout en restant dans la foi catholique, le voyageur pratique désormais l’ascèse, le jeûne et le renoncement.
Comme une boucle qu’il boucle, Anquetil-Duperron dépose à la bibliothèque royale près de 180 manuscrits. Nostalgique du soleil indien, il se replonge dans son voyage en rédigeant son récit publié dans la préface de sa traduction de l’Avesta, le code sacerdotal des zoroastriens, édité sous le titre du Zend Avesta en 1771. Il sera également le traducteur peu avant sa mort en 1805 d’une cinquantaine d’Upanishad, texte sacré de l’hindouisme.
Il faut préciser ici que, sur fond d’une intense rivalité économique et commerciale franco-anglaise, la seconde moitié du XVIIIe siècle tombe sous le charme enchanteur et mystique de l’Inde et de son antique sagesse. « En un mot, confesse Voltaire à Jean-Sylvain Bailly en 1775, tout nous vient des bords du Gange ». Mais à rebours d’un Moyen Âge se contentant de la mémoire (ô combien sélective) des missionnaires, les savants tirent désormais leur savoir d’une expérience in loco. Sagesse indienne donc, mais également l’antique et mystérieux Zoroastrisme, thème quelques années plus tôt de la quatrième tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau.
Élu à l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, loué par Diderot dans un article de son Encyclopédie, Anquetil-Duperron gagne la reconnaissance de ses pairs, mais suscite également de très vifs débats notamment sur l’exactitude du matériau textuel récolté et sur la pertinence des traductions qu’il en propose. Entre les Lumières, le Romantisme, et l’indologie scientifique, l’érudit incarne la préhistoire de l’indologie.
S’il ne parvient pas à établir un corpus au-dessus de tout soupçon et, quels que soient les problèmes que soulèvent ses travaux, ce voyage en Inde a constitué un jalon essentiel dans l’intérêt oriental de l’Europe des Lumières. Donnant un accès inédit à une sagesse indo-iranienne ancestrale, son influence sur plusieurs générations de penseurs comme Arthur Schopenhauer et Frederick Nietzsche sera considérable.