Les complotistes en raffolent ! Ils voient du maçonnique ou de l’Illuminati partout ! Alors, imaginez leur excitation à l’évocation d’un œil dans un triangle ! Pour eux, ce symbole serait obligatoirement maçonnique ! Est-ce vraiment le cas ?
La représentation d’un œil dans un delta lumineux sue La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du peintre Jean-Jacques Le Barbier de 1789 a fait dire à tort qu’il s’agissait d’un symbole maçonnique. En réalité, c’est « l’œil suprême de la raison » (prémices du « culte de la Raison » qui ne commencera qu’en 1793). Le symbole d’un œil rayonnant (« all-seeing eye ») apparaît officiellement en franc-maçonnerie en 1797 dans le Freemason’s Monitor de Thomas Webb (fig 1). Mais en cherchant un peu plus on découvre cet œil dans un tableau de Loge de 1796 de l’Union Lodge du Massachusetts conservé au Scottish Rite Masonic Museum and Library. Il apparaît même sur un sceau de Robert Moray, l’un des premiers francs-maçons écossais et l’un des pères de la Royal Society, dans une lettre de 1672. Dans ces deux cas, il manque le delta. Or cette allégorie d’un œil rayonnant dans un delta est en réalité la reprise d’un symbole chrétien désignant la Trinité. On le retrouve ainsi en 1762 sur une peinture germanique de l’allégorie de la Justice par Matthias Blumenthal (fig 2).
Mais pourquoi cet œil alors que parfois c’est le nom de Dieu en hébreux qui est représenté dans les églises ? Eh bien ceci fait référence à un passage des psaumes (33 :18-19) : « Voici, l’œil de l’Éternel est sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent en sa bonté, afin d’arracher leur âme à la mort et de les faire vivre au milieu de la famine. ». Il est un symbole héraldique que l’on retrouve dans de nombreuses villes comme écu d’armes en Macédoine, Pologne, Ukraine, Biélorussie , ou bien sur des écus personnels comme en 1710 ceux de Gerhard Weixelberger, abbé du monastère de Heiligenkreuz près de Vienne. On le retrouve également dans des ouvrages religieux. Mais c’est surtout dans la peinture de la Renaissance qu’il faut y trouver ses origines. Le souper à Emmaüs de Pontormo datant de 1525 en offre un bel exemple. En poussant mes investigations, j’ai trouvé une œuvre antérieure de 15 ans à cette peinture, il s’agit de l’Allégorie chrétienne de Jean Provost (ou Jan Provoost) datant de 1510 (fig 3). Devant tant d’exemples, Il serait ainsi compliqué, pour qui que ce soit de bonne foi, de contredire l’origine chrétienne et non pas maçonnique de l’œil avec le delta lumineux.
En résumé, l’œil dit « de la Providence » est bien un symbole de l’iconographie chrétienne que les francs-maçons, chrétiens du XVIIIe siècle ont repris.