La franc-maçonnerie est apparue en Pologne dès 1730 et s’y est développée tout au long du XVIIIème siècle. Le recrutement des loges se fait alors parmi l’aristocratie qui d’un côté regarde vers la France et de l’autre vers la Prusse. En effet, si la maçonnerie française influence les loges polonaises au point que les tenues se font le plus souvent en français, l’influence de la Prusse devient prépondérante avec, en 1776, l’introduction du rite de la Stricte Observance dans la loge des Trois frères.
La fin du XVIIIème siècle est marquée par les partages successifs de la Pologne entre la Prusse, qui autorise une franc-maçonnerie très contrôlée, l’Autriche et la Russie qui l’interdisent. Auparavant cependant, les frères polonais participèrent à la rédaction de la Constitution promulguée le 3 mai 1791, dont l’esprit s’inspire de la philosophie des Lumières. Cette constitution fut la première à voir le jour en Europe, quatre mois avant la première constitution française.
Au début du XIXème siècle, les francs-maçons polonais placèrent leur espoir dans la France pour rétablir leur liberté. Le frère Jan Henryk Dombrowski, général au service de Napoléon va fonder plusieurs loges, notamment en Italie. En 1807, alors que Napoléon 1er fonde le Grand-duché de Varsovie et autorise la maçonnerie, Dombrowski reprend l’atelier de Poznan, Frédéric Guillaume à la Concorde heureuse, pour le transformer en une loge française où les frères Français et polonais travaillent de concert. Cette loge, qui adoptera le polonais comme langue de travail, suivie bientôt par Les Frères polonais réunis marque la renaissance de la maçonnerie polonaise, sous l’égide du Grand Orient de France. Le 22 mars 1810, le Grand Orient National voit le jour. De nombreuses loges le rejoignent ou sont alors créées. Un an plus tard, un accord fraternel lie les deux Grands Orients, français et polonais. Cependant, après le congrès de Vienne qui confirme le partage de la Pologne, le Grand-duché passe sous le contrôle de la Russie qui interdira définitivement la franc-maçonnerie à partir de 1821. Il faudra attendre 100 ans, après l’indépendance retrouvée en 1919, pour voir des loges renaître timidement dans une Pologne très hostile à la franc-maçonnerie sous l’influence de l’Église catholique. Et en 1938 alors que le pays est dirigé par une junte militaire fascisante et antisémite, la franc-maçonnerie sera à nouveau interdite. Interdiction prolongée, bien sûr, sous l’occupation nazie ainsi que sous la domination communiste.
Dès 1989 la maçonnerie polonaise va amorcer un timide réveil pour progressivement se consolider avec la présence de plusieurs obédiences. Toutefois la vingtaine de loges que rassemblent la Grande Loge nationale de Pologne, le Grand Orient de Pologne, le Droit Humain, la Grande loge de France, la Grande loge féminine de France et la Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité réunissent en tout et pour tout moins de 1000 frères et sœurs. Il est vrai que dans un pays où le clergé diffuse des brochures sur « La franc-maçonnerie église de satan », il faut du courage pour rentrer dans une loge.
Malgré tout, les maçons polonais ont en commun de célébrer la fraternité à l’occasion de généreux travaux de table au cours desquels on porte des santés avec cette poudre très fulminante qu’est la vodka — littéralement petite eau — qui est un alcool produit par la distillation de céréales — blé ou seigle — aussi bien que de pomme de terre. La vodka « passe bien » et même très bien, lorsqu’elle est servie glacée avec les poissons ou la charcuterie fumée polonaise, histoire de ressentir par le moyen du spiritueux national, l’esprit d’une nation résistante.