En 2014 s’est tenue à Belgrade une importante exposition consacrée à l’histoire de la franc-maçonnerie en Serbie depuis 1785.
La date de 1785, sans doute approximative, fait référence à une loge qui aurait fonctionné à Belgrade selon des sources ottomanes. La Serbie était alors sous la domination conjointe de l’Autriche et des Turcs et s’il exista des loges dans chaque camp, celles-ci étaient étroitement liées aux puissances occupantes.
Il faut attendre les années 1870-1880, au moment où le pays proclama son indépendance, pour voir officiellement apparaître deux loges vraiment serbes, mais placées sous la protection du Grand Orient d’Italie. Dès lors, malgré divers soubresauts qui amenèrent les loges serbes à se placer sous la protection de la Grande Loge Symbolique de Hongrie, la franc-maçonnerie fit corps avec les élites du pays, incluant dans ses rangs d’influents personnages, à l’instar de l’écrivain Svetomir Nikolajević, promu Premier ministre du royaume de Serbie en 1894. Ce dernier était membre de la loge Pobratim, – Les frères de sang – qui joua un rôle important dans le changement de régime qui eut lieu après le coup d’État de 1903 amenant au pouvoir Pierre Karadjordjevic qui régna jusqu’en 1921 sous le nom de Pierre 1er. Ce dernier aurait été initié en France alors qu’il était élève à Saint-Cyr avant de combattre dans les rangs de la Légion étrangère durant la guerre de 1870.
Sous le règne de Pierre 1er, la franc-maçonnerie serbe connut de profonds bouleversements avec la création d’un Suprême Conseil plaçant toutes les loges du pays sous son autorité, à l’exception de la loge Ujedinjenje – L’Union – qui se référa au Grand Orient de France.
Après la Première Guerre mondiale, durant laquelle la Serbie combattit sur le front d’Orient aux côtés de ses alliés français, britanniques, italiens, grecs et roumains, les loges qui s’étaient mises en sommeil pendant le conflit reprirent une exceptionnelle vigueur à l’intérieur de ce qui devint d’abord le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, puis, à partir de 1929, le royaume de Yougoslavie. Durant cette période, nombreuses furent les élites à fréquenter les loges, avec cette particularité que l’on y comptait des dignitaires de l’Église orthodoxe, mais aussi des prêtres catholiques et des rabbins.
En 1934, l’assassinat à Marseille du roi Alexandre 1er en même temps que du ministre français des Affaires étrangères Louis Barthou fut le prélude à une période dramatique pour la Serbie, qui culmina, durant la Deuxième guerre mondiale avec la cruelle occupation allemande, la quasi-extermination des juifs et le massacre de milliers de Serbes de Croatie par le régime clérical-fasciste de l’oustachi Ante Pavelic. Bien que de nombreux maçons serbes en même temps que yougoslaves périrent pour la défense de la liberté, le nouvel homme fort du pays, le communiste Tito prolongea l’interdiction de la franc-maçonnerie durant son règne qui prit fin en 1980. Malgré de timides tentatives pour faire renaître l’ordre dans les décennies qui suivirent, la franc-maçonnerie serbe ne se reconstitua vraiment qu’après le début des années 2000.
Aujourd’hui la Serbie compte environ quinze mille frères et sœurs répartis entre la Grande Loge Régulière de Serbie, la Grande Loge Libérale de Serbie, le Grand Orient de France qui compte une dizaine de loges, une loge pionnière du Droit Humain et l’implantation récente de la Grande Loge Féminine de France.
Même si les relations des maçons serbes avec les obédiences européennes sont empreintes de fraternité, le contentieux lié au bombardement de Belgrade par l’OTAN sans mandat de l’ONU au printemps 1998, bien que réprouvé par le GODF, a laissé des traces. De même, la perte par la Serbie de son berceau historique de Métochie – Kosovo ne passe toujours pas…. D’autant que cette région était une des principales régions viticoles de Serbie. Et cette sorte de perte est un affront impardonnable.