On se souvient du célèbre tableau de Goya : « El sueno de la razon produce monstruos » (Le sommeil de la raison produit des monstres.) Hélas le cauchemar actuel n’est que trop réel. Nous vivons une époque sombre, où la déraison mortifère semble triompher. Le fanatisme religieux réinvente le despotisme théocratique, et il s’en prend aux conquêtes de la philosophie des Lumières, accomplies jadis contre la tradition oppressive du cléricalisme catholique. Ainsi l’histoire se déplace d’une religion à l’autre, ou plutôt d’un fanatisme à l’autre. La liberté de conscience, l’égalité de droits des divers croyants et des athées, la démocratie et ses libertés, la République comme incarnation du bien commun, l’émancipation laïque multiforme, sont directement visées. Ces conquêtes ne furent pas des produits spontanés de la civilisation chrétienne, comme le prétendent les tenants du choc des cultures et de la supériorité supposée de l’Occident chrétien, de Marcel Gauchet à Samuel Huntington. Elles naquirent de la tradition des opprimés, de ceux qui furent d’abord victimes puis résistants et luttèrent pour la reconnaissance des libertés comme de l’égalité.
Le contexte n’est pas indifférent dans ce processus multifactoriel. Sur le fond des injustices du capitalisme mondialisé et de l’impérialisme qui caricature le droit international, une nouvelle figure du despotisme se dessine. Et elle est terrible. Régime d’oppression brutale, qui ne fonctionne qu’en provoquant la peur, le despotisme mis en œuvre au nom d’un Dieu se fait d’autant plus intraitable qu’il se dit missionné par ce dieu. Les récompenses qu’il promet sont éternelles, relativisant la mort par la promesse d’un au-delà paradisiaque. La voca