Le fils du cabaretier de Jean-Luc Aubarbier - Etincelles d'humanité d'Irène Vallejo - Le siècle d'Edgar Morin de Jean-Pol Baras - Ce que la philosophie doit aux femmes de Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Love
Essai
Ce que la philosophie doit aux femmes
De Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Love
Éditions Robert Laffont
494 pages – 22,50 euros
Une dizaine de philosophes (des femmes, aucun homme, personne ne s’en étonnera) ont participé à cet ouvrage collectif dont le sous-titre claque comme un manifeste : « L’histoire oubliée de la pensée, des origines à nos jours ». L’ensemble remplit au moins quatre objectifs. Rendre justice à des « grandes figures de la pensée en mettant en avant leurs idées et en soulignant ce qu’elles ont apporté à la philosophie ». Établir que la philosophie n’est pas qu’une affaire masculine et que le masculin n’a pas le monopole de l’universel. Démontrer que les femmes sont des philosophes comme les autres, mais qu’elles ont ouvert la philosophie à de nouveaux territoires. Nous faire comprendre pourquoi et comment elles ont été effacées de l’histoire de la philosophie. Le tout avec un parti-pris : ne pas retenir uniquement des philosophes féministes.
Convenons-en : ce livre n’est pas d’un accès facile, il ne se lit pas comme un roman de gare, et surtout pas d’une seule traite… mais il est d’une grande richesse, et balaie l’histoire de l’humanité de l’antiquité grecque et romaine à nos jours.
Les autrices font émerger des limbes de l’histoire (et de l’oubli !) des femmes dont l’apport a été décisif, même si elles ne savaient pas écrire, alors elles dictaient leurs idées sur l’amour, Dieu, la liberté ou l’amitié. C’est au XIVe siècle le cas de Catherine de Sienne. Des siècles plus tard, nous partageons les réflexions de Germaine de Staël et Flora Tristan, sans oublier Louise Michel, avant d’aborder le XXe siècle d’Hannah Arendt et Simone Weil, et leur apport précieux, leurs réflexions sur ce que penser veut dire. Bien sûr, Simone de Beauvoir n’est pas oubliée. La cinquième partie, intitulée « Ceci est mon corps », mérite-t-elle aussi une lecture attentive, notamment les développements sur le corps mû par ses affects, la théorie du care. Suivent deux autres parties jusqu’à l’ultime : « Penser le monde après #Metoo. » Cette somme qui explore l’œuvre intellectuelle de penseuses qui ont jalonné l’histoire de la philosophie doit aussi être lue par… les hommes. Denis Lefebvre
Essai
Étincelles d’humanité
De Irène Vallejo
Éditions Les Belles Lettres
226 pages – 23 euros
Il y a trois ans, la philologue et écrivaine espagnole Irène Vallejo nous avait offert un magnifique livre sur l’invention du livre dans l’Antiquité, du papyrus au parchemin, L’infini dans un roseau, 544 pages quand même. Son nouveau titre est bien plus réduit en taille, mais il nous emporte lui aussi dans de beaux et longs voyages.
200 chroniques y sont reproduites, d’une page au maximum chacune, sélectionnées et traduites par Anne Plantagenet. Toutes partent du passé, sont nourries de plongées dans l’Histoire, pour nous parler d’aujourd’hui, voire de demain, tant certains thèmes et certaines questions sont éternelles. Ainsi, celle consacrée à l’ivresse du pouvoir, autour du « syndrome d’Hubris », que nombre de nos gouvernants devraient lire. Ou celle intitulée « Progrès », hommage aux enseignants, « sculpteurs du futur », avec un retour à Albert Camus. L’autrice convoque aussi, au fil des pages Thucycide, Démocrite ou le tribun Licinius Calvus, comme des penseurs plus contemporains, ainsi l’Américain Richard Rorty.
La 33e (tiens tiens…) chronique est titrée « Reflets », elle s’intéresse au règne des images, et aussi au miroir, « qui semble garant de la liberté », et se termine ainsi : « Souvent le miroir ne reflète pas ce que nous sommes, mais ce que nous redoutons. »
Au final, un livre foisonnant, plein de poésie aussi, qui explore l’humanité dans ses moindres recoins. Surtout, il ne prétend pas nous imposer des recettes toutes faites, il nous incite à tracer nous-mêmes notre chemin. A lire, à relire. A feuilleter aussi, pour s’arrêter au hasard sur un mot, un concept, et se laisser emporter. Bref, à conserver au plus près de soi, pour longtemps. Denis Lefebvre
Roman
Le Fils du cabaretier
De Jean-Luc Aubarbier
Éditions Terres de France
576 pages – 23 €
Quel aurait été le destin de Julien Sorel, le héros du roman de Stendhal Le Rouge et le Noir, s’il était né trente ans plus tôt ? Telle a été le fil conducteur de Jean-Luc Aubarbier, auteur prolifique, notamment de thrillers maçonniques (L’échiquier du Temple, Le testament noir…). Sous la plume alerte de l’auteur, il est plutôt question dans ce nouvel opus, d’ascension sociale dans une France qui vit les dernières heures de l’Ancien Régime. Corentin Fournier est le fils naturel d’un cabaretier de Sarlat (une ville que l’auteur connaît bien !). Le jeune homme, orgueilleux nourrit des ambitions. Observant la misère humaine, sensible à l’injustice qui règne autour de lui, épris de liberté il veut s’extraire de son milieu et réussir. Des rencontres décisives vont jalonner son parcours, à commencer par un certain abbé aux idées libérales qui va peu à peu « dégrossir » son esprit. Et puis, il y a la belle Catherine avec qui il aimerait convoler, mais pour cela il doit se faire un nom. Bien sûr, la franc-maçonnerie n’est jamais loin et notre jeune héros sera initié à Gourdon, dans la loge Les amis de la concorde. Clin d’œil historique, Jean-Luc Aubarbier imagine même une scène en référence à Elizabeth Aldworth, cette jeune irlandaise dont l’indiscrétion lui vaudra d’être initiée dans la loge de son père. Nanti d’une lettre de recommandation et de son diplôme maçonnique, le jeune Corentin Fournier quitte la Dordogne pour rejoindre Bordeaux. L’inconnu s’offre à lui et l’histoire peut enfin commencer. Des désillusions, des trahisons, des compromissions, il y en aura et c’est avec acuité que l’auteur brosse le tableau d’une société en pleine mutation. Qu’adviendra-t-il de Corentin Fournier ? À vous de le découvrir en vous plongeant dans cette épique fresque humaine.
Essais
Le siècle d’Edgar Morin
Cela s’appelait la France. En lisant et en écoutant Régis Debray
De Jean-Pol Baras
Éditions Audace
68 et 78 pages – 10euros
Les deux derniers essais de Jean-Pol Baras, ancien délégué des gouvernements de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de Wallonie à Paris, viennent de paraître chez Audace, maison d’édition belge basée à Havré, non loin de Mons. Pour Audace, la lecture est un bonheur qui se partage… contrat rempli avec ces deux petits livres, bijoux d’érudition et de finesse d’écriture.
Baras s’est plongé dans nombre de leurs textes respectifs (livres, articles, scripts d’émissions de radio…) et il les met en scène avec brio sous forme de dialogues.
Le premier prend la forme d’une pièce de théâtre. Deux jeunes filles rencontrent Edgar Morin. L’occasion pour elles d’interroger ce centenaire sur sa vie, ses engagements, son regard sur la société, ses réflexions sur l’Europe et sur la mondialisation, son rapport à l’amour aussi, « l’amour de tout, l’amour de vivre, mais aussi l’amour en vie. C’est le comble de la folie et de la sagesse. »
Pour le second, nous sommes toujours dans un bistrot (serait-ce Les Deux Magots, citoyen Baras ?), les développements se concentrent autour de deux tables : attablés à l’une Régis Debray et une amie ; à l’autre un couple qui surprend les propos de l’écrivain et philosophe puis les commente en aparté. Nous passons de Voltaire à De Gaulle, nous effleurons Kundera et Bernanos, tandis que Stendhal règne sur nombre de pages, à juste titre. Nous comprenons pourquoi et comment Debray nourrit « une certaine idée de la France ». Par le canal de Baras, Morin et Debray nous emportent tous azimuts. Un régal. Noël Delomel
PS. Pour commander ces deux livres, une adresse mail : pierre.bragard@hotmail.com
Et aussi…
Intéresser les profanes, conserver les initiés
De Magali Aimé
Éditions Dervy
Le Vénérable Maître en chaire
De Jean Dumonteil
Éditions Numérilivre