Société

Interview : Jean-Pierre Rollet Grand maître de la Grande Loge Nationale Française

Jean-Pierre Rollet. NGH Presse

Fondée en 1913 et comptant près de 32 400 membres, la Grande Loge Nationale Française de par son attachement historique à la tradition maçonnique anglo-saxonne reste atypique au sein du paysage maçonnique français. Une différence qu’elle cultive non sans afficher une certaine volonté d’ouverture. Entretien avec Jean-Pierre Rollet, élu grand maître de l’obédience depuis 2018.

Hélène Cuny : Comment définiriez-vous la Grande Loge Nationale Française aujourd’hui ?
Jean-Pierre Rollet : Nous appartenons à la communauté des obédiences régulières, qui respectent les règles de la franc-maçonnerie définie en 1717 par la maçonnerie anglo-saxonne. Elle repose sur un ensemble de points : la croyance en dieu, le fait de ne recevoir que des hommes majeurs, de respecter les trois principes qui sont le livre de la loi sacrée, l’équerre et le compas et de ne pas débattre de sujets politiques et sociétaux en loge. C’est une communauté que nous appelons spiritualiste et traditionnelle. Les intervisites avec les autres obédiences ne sont pas admises et nous n’organisons pas de tenues en commun. Malgré cela, nous considérons que nous faisons partie intégrante de la maçonnerie française. À ce titre, nous avons participé aux discussions lors de la Covid 19 avec le président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur. Nos liens avec les autres obédiences françaises sont essentiellement de nature culturelle ou administrative et nous ne portons aucun jugement négatif sur toute autre pratique maçonnique que la nôtre.

HC : Vous organisez pourtant avec le Grand Orient de France les rencontres Lafayette et avez mis en place les rencontres Pic de la Mirandole avec la Grande Loge de France. Quel est l’objectif à travers ces manifestations ?
JP Rollet : À l’origine, les rencontres Lafayette ont été impulsées au moment où nous sortions d’une crise interne difficile et il était important de renouer avec les autres obédiences françaises. Il semblait intéressant de mettre en parallèle notre démarche avec celle du GODF sur des thèmes pouvant être rassembleurs. Avec la Grande Loge de France, l’idée est de travailler ensemble sur un sujet commun qui est l’humanisme. Cela a donné lieu à deux événements dont le plus récent s’est tenu en avril dernier.

HC : Comment voyez-vous l’avenir de l’obédience ? 
JPR : Notre pratique est singulière, car elle repose sur deux concepts : croire en un Grand Architecte de l’Univers qui est dieu et ne travailler sur aucun sujet à caractère polémique, c’est-à-dire religieux ou politique. Nous offrons à ceux qui viennent nous rejoindre un espace de reconstruction, de développement d’une forme de sérénité, de compréhension, dans le cadre des règles énoncées plus haut. Nous n’avons pas vocation à changer la société. Nous pensons qu’il faut transformer l’homme. Beaucoup sont à la recherche d’un sens, d’une fraternité et plus le monde dans lequel nous vivons se durcit plus cet espace que nous offrons dans nos loges se révèle bénéfique.

HC : Vous avez récemment reçu une distinction de la Grande Loge Unie d’Angleterre en devenant passé premier grand surveillant de la GLUA . Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
JPR : Sur le plan personnel, c’est pour moi un grand honneur ; il l’est d’autant plus que cette distinction est rarement accordée. Je suis le premier grand maître français à la recevoir. Elle traduit la reconnaissance du travail de reconstruction menée après la crise interne que nous avons vécue entre 2009 et 2012. Sur le plan collectif, elle est une marque des liens que les maçons britanniques souhaitent entretenir avec la France. 

HC : Dans un récent article publié dans FM Mag , nous avons pu constater l’écart qui s’est creusé entre les aspirations de la société britannique et ce que propose la Grande Loge Unie d’Angleterre. Ce modèle de maçonnerie serait-il à bout de souffle ?
JPR : Je ne partage par votre analyse. Il est vrai que la maçonnerie anglaise comme une bonne partie de la maçonnerie anglo-saxonne a enregistré une chute colossale de ses effectifs. La maçonnerie britannique compte aujourd’hui environ 180 000 maçons ; ils étaient au moins le double au début du XXe siècle. Une sévère remise en cause a eu lieu. La maçonnerie britannique est essentiellement caritative ; il n’y a pas comme dans la maçonnerie continentale de présentation de travaux de réflexion, d’échanges, de discussions sur des thèmes symboliques ou philosophiques. La logique du rite Émulation, pratiqué outre-Manche repose sur la connaissance parfaite du rituel. Sa vocation est de construire un homme meilleur, un gentleman capable de faire œuvre de bienfaisance envers les personnes en difficultés. Ce système s’est retrouvé en décalage avec la génération des maçons des années 50 aux années 2000. Mais depuis une dizaine d’années, la franc-maçonnerie anglaise a changé, elle s’est ouverte, elle communique ; fait unique, presque toutes les universités anglaises disposent en leur sein d’une loge maçonnique. L’accompagnement des nouveaux entrants a aussi été revu. Une prise de conscience s’est opérée. En revanche, je suis d’accord avec vous au sujet de la maçonnerie américaine, australienne et Néo-Zélandaise. Le décalage est très fort avec les jeunes générations qui ne se montrent pas autant intéressées par la démarche maçonnique. En France, ce décalage n’a jamais existé puisque la maçonnerie continue de se développer en dépit des diverses crises et soubresauts. 

HC : Partant de ces constats, la Grande Loge Nationale Française pourrait presque devenir un modèle pour les autres obédiences régulières…
JPR : J’explique beaucoup à mes homologues la manière dont nous fonctionnons ; notre organisation est structurée autour d’une association unique, modèle que je trouve pour ma part plus simple que celui de la Grande Loge de France ou du Grand Orient de France. Pour les jeunes qui nous rejoignent, nous mettons en place une mécanique d’instruction du rite, avec la mise à disposition d’outils et nous disposons de loges de recherche. L’idée est que ceux qui nous rejoignent développent ce désir de présence en loge. 

HC : Vous avez fêté le tricentenaire des Constitutions d’Anderson fin mars au palais Brongniart à Paris. Avez-vous prévu d’autres événements ?
JPR : Le texte des Constitutions garde toute sa modernité et il était important pour nous de le célébrer. Nous recevons des demandes de grandes loges étrangères désireuses d’exporter notre conférence du tricentenaire. Je trouve important de prendre le temps de se poser des questions sur les origines de la franc-maçonnerie. De manière générale, nous avons depuis quatre ans accentué cet effort de communication en multipliant les conférences publiques à destination des profanes. À Rennes, par exemple, il y a quelques mois, nous avons réuni dans une salle de cinéma pas moins de deux cents personnes, preuve que la maçonnerie suscite intérêt.

HC : Quel regard portez-vous sur votre expérience de grand maître ?
JPR : Je vous répondrai en expliquant d’abord ce que m’a apporté la franc-maçonnerie depuis trente-cinq ans : je me suis senti devenir un homme meilleur dans mes relations avec ma famille d’une part, mais aussi avec mes collaborateurs, mes amis, en développant plus de bienveillance, de compréhension (je n’aime pas trop le terme de tolérance, car je trouve qu’on l’utilise comme un mot valise pour masquer des comportements déviants qui devraient au contraire être sanctionnés). Mon objectif à mon arrivée a été de développer la formation et l’instruction qui sont des éléments clefs pour le développement et la pérennité de notre Ordre. Nous disposons d’une fondation très active et je suis fier des actions que nous menons, notamment en faveur de l’Ukraine. En tant que grand maître on a la responsabilité de donner le meilleur de soi-même pour ne pas décevoir. Une lourde tâche…

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