Société

Le maçon mystère

J’ai vu le jour en Martinique dans la deuxième moitié du 18e siècle. Mon prénom est Rose et je suis surnommée « Yeyette » par mes proches. Issue d’une très vieille famille créole de planteurs français, je suis la fille d’un lieutenant d’infanterie de marine. 

 

Mon père me marie à l’âge de seize ans et j’ai deux enfants, un fils et une fille qui l’un est l’autre règneront sur un pays européen. Je suis reçue dans les cercles de la noblesse et même aux chasses du comte d’Artois, frère du roi. Mon mari a de nombreuses aventures extra-conjugales. Je suis malheureuse en mariage. Nous nous séparons en 1785. Ma fille reste auprès de moi alors que mon fils vit avec son père. Durant la Révolution, nous nous réfugions à Croissy. En 1794, je suis emprisonnée avec mon époux. Celui-ci est guillotiné quelques jours avant la chute de Robespierre en dépit de mes supplications. Sauvée par Barras j’échappe de peu à l’exécution.. L’année suivante je rencontre un brillant général de l’époque avec lequel je me marie. Il adopte mes deux enfants. Il fera de moi durant quelques années la souveraine de mon peuple avant de me répudier pour épouser une femme qui lui assurera une dynastie. Retirée en banlieue parisienne, je reste en contact épistolaire avec mon ancien époux pour lequel j’ai été l’unique grand amour de sa vie. Au printemps 1814 après avoir fait visiter mon jardin au tsar Alexandre de Russie, vêtue d’une robe d’été légère, je suis terrassée par une pneumonie après avoir pris froid. 

Mon prénom Rose me plaît parce qu’il représente une fleur et j’aime profondément la nature, dont les roses, mais mon époux trouve que mon prénom est niais, il m’en fait changer. Je suis à l’origine de la première description de la culture des roses en France où 250 variétés sont recensées. J’ai suscité l’intérêt pour la multiplication des jardins botaniques. Une rose porte même mon nouveau nom. Dans le château où je me suis retirée, je fonde un cabinet de minéralogie de plus de dix mille pièces ainsi qu’un cabinet de sciences naturelles avec des animaux empaillés, des coquillages et autres curiosités. Réputée pour être dépensière, je suis parvenue à rassembler une collection d’Art de plus de 450 tableaux, dont beaucoup sont de maîtres italiens et hollandais. Née dans une ville où existe l’esclavage, je suis toujours accusée injustement d’avoir joué un rôle actif au rétablissement de l’esclavage en France. C’est ainsi qu’en Martinique, ma statue en marbre a été de nombreuses fois décapitée et barbouillée de peinture rouge sang. En réalité l’esclavagisme n’a jamais été supprimé en Martinique, car l’île est occupée par les Anglais de 1794 à 1802. Penser que j’ai pu jouer un rôle dans le maintien de l’esclavage c’est m’accorder une importance que je n’ai jamais eue auprès d’un époux absolutiste qui ne considérait pas que les femmes puissent avoir le droit à la parole.

Ma famille est liée à la franc-maçonnerie et compte dans ses rangs plusieurs francs-maçons, dont un oncle et un cousin. J’ai été admise en 1781 dans une loge d’adoption de Strasbourg, d’autres pensent que j’ai été initié à Lyon. Mon premier mari Alexandre fut aussi franc-maçon, membre des loges Sainte-Sophie et La Fidélité. A cette époque j’assure le rôle habituel d’une femme de maçon de l’Ancien Régime, intégrant la maçonnerie parmi mes devoirs mondains. En 1804, je relance la maçonnerie féminine avec l’appui de Cambacérès. Je fonde des loges d’adoption souchées  sur des loges masculines : L’Impériale des Francs Chevaliers et La Colombe que Masséna dirige. Succédant à la princesse de Lamballe comme Grande Maîtresse des loges féminines écossaises, je déploie toute mon énergie pour dynamiser les loges féminines. Je suis souvent évoquée comme une femme insouciante, frivole et légère alors qu’en réalité je me suis occupée tout au long de ma vie de bienfaisance et de charité, demeurant à l’écoute de tous. 

Solution du « maçon mystère » dans le prochain numéro.

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