L’individu postmoderne, en quête de sens serait-il condamné à accepter, avec fatalisme, l’inertie d’une société ayant le sentiment d’être déconnectée du passé sans perspective d’avenir, oscillant entre culte de l’instantanéité et repli communautaire ? Et si la franc-maçonnerie, pourvoyeuse d’un idéal d’émancipation humaine et de tolérance constituait une troisième voie ? Dans L’Utopie maçonnique, parue aux éditions Dervy, Céline Bryon-Portet et Daniel Keller* explorent les fondements de cet humanisme qui au fil des siècles a fait sienne la devise « Travailler au progrès de l’humanité ». Mais pour continuer de mener à bien cet ambitieux projet, la franc-maçonnerie doit aujourd’hui faire face à l’un de ses plus grands défis : s’ouvrir au monde avec la pratique d’une fraternité universelle tout en préservant ce qui en fait son essence même, sa tradition et ses rites ; cultiver en loge un entre-soi fertile tout en ayant l’audace de mener à l’extérieur du temple les combats humanistes de son temps. C’est toute la richesse, mais aussi toute l’ambivalence d’une utopie qui ouvre le champ des possibles que nous dévoile ici Céline Bryon-Portet.
Marc Laumond : En quoi la franc-maçonnerie est-elle une utopie ?
Céline Bryon-Portet : il est nécessaire avant tout de nous entendre sur la signification de ce terme, tant il recouvre d’interprétations diverses. Marx critiquait l’utopie, car il ne voyait en elle qu’une chimère de l’esprit, sans ancrage dans l’histoire. Le sociologue Karl Mannheim considérait quant à lui qu’il y a au fondement de toute utopie une composante contestataire, et donc bien réelle, par opposition à l’idéologie qui vise à conserver, voire renforcer l’ordre établi. Ces de