En 2013, une étude du think tank britannique Counterpoint (Conspiracy theories in France/Théories conspirationnistes en France) mettait en lumière qu’un Français sur 2 (51 % exactement) adhérait aux théories du complot et considérait que « ce n’est pas le gouvernement qui gouverne la France ; on ne sait pas en réalité qui tire les ficelles ». Et à la question de savoir qui étaient les « marionnettistes », 27,03 % répondaient que « des groupes secrets comme les francs-maçons » étaient ceux qui « manœuvrent la France dans les coulisses ». Rapprochés de l’inquiétante montée des radicalismes, de l’antimaçonnisme et autres intolérances (dont Franc-Maçonnerie Magazine se fait régulièrement l’écho), ces données ne pouvaient que nous inciter à nous rapprocher de l’un des spécialistes actuels des théories complotistes, pour mieux comprendre, notamment, les racines de ce mal et pourquoi ces idées avaient trouvé un tel terreau en France depuis l’origine.
Historien et chercheur, docteur de l’École Pratique des Hautes Études (section sciences religieuses), Emmanuel Kreis est spécialiste des théories conspirationnistes, en particulier du mythe du « complot judéomaçonnique » et travaille sur l’hostilité anti-juive (plus large, explique-t-il, que le seul antisémitisme, étiquette qu’il n’applique qu’à ceux qui s’en réclament), notamment celle des milieux catholiques. Il est l’auteur des Puissances de l’ombre : la théorie du complot dans les textes , anthologie qui lui permet d’inventorier et de commenter les principaux théoriciens du conspirationnisme.
Francis Moray : Sentez-vous un renouveau des théories du complot ?
Emmanuel Kreis : C’est en réalité très difficilement mesurable. L’adhésion à une théorie historique alternative faisant du complot un moteur de l’Histoire se développe assurément. Le développement d’Internet, l’absence de perspective d’avenir, le non-renouvellement de certaines élites, la désaffection politique, tout cela dans un climat de crise, favorisent le développement d’une tentative d’explication par le biais d’une prétendue conspiration. Il faut toutefois être prudent