Au détour d’une lecture anodine, on découvre parfois un élément incroyable. Celle de la première trace d’un hommage funèbre maçonnique en est le parfait exemple.
Alors que vous auriez dû avoir un article lié à la faillite du pasteur James Anderson qui conditionna peut-être l’écriture de ses Constitutions, une lecture attira mon attention. Celle du numéro 42 d’Ars Quatuor Coronatorum. Ainsi, à la page 92, il est fait mention d’un autre article sur James Anderson, par le frère Robbins dans AQC N°23. Et dans cet article il est fait référence à l’enterrement de l’inventeur des Constitutions de la Grande Loge de Londres et de Westminster. Voici ce qu’il en est rapporté dans le Daily Post du 2 juin 1739 : « Last Night, was interr’d in Bunhill-Fields the Corpse of Dr Anderrson, a Dissenting Teacher, in a very remarkable deep Grave. His Pall was supported by five Dissenting Teachers, and the Rev. Dr. Desaguliers: It was follow’d by about a Dozen of Free-Masons, who encircled the Grave: and after Dr Earle had harangued on the Cuncertainty of Life &e, without one Word of the Deceased, the Brethren in a most solemn dismal Posture, lifted up their Hands, sigh’s, and struck their Aprons three times in Honour to the Deceased. »
« Hier soir, a été enterré à Bunhill-Fields le Cadavre du Dr Anderson, un enseignant non-conformiste, dans une tombe profonde très remarquable. Son cercueil était soutenu par cinq enseignants non-conformistes et le révérend Dr Desaguliers : il a été suivi par une douzaine de francs-maçons, qui ont encerclé la tombe et, après que le Dr Earle ait harangué sur l’Incertitude de la vie, sans un seul mot pour le défunt, les Frères, dans une Posture lugubre des plus solennelles, ont levé leurs mains, soupiré et frappé leurs tabliers à trois reprises en l’honneur du défunt. »
À ce moment de la lecture, vous devriez vous arrêter quelques instants. Si vous ne l’avez pas fait, ne vous attardez pas sur ce « Dr Earle » qui est en réalité Jabez Earle (1676-1768), un prêtre non-conformiste ayant prêché plus de 60 ans (pour mémoire, le « non-conformisme » désigne un mouvement religieux se détachant de l’Église anglicane, comme les puritains, les presbytériens, calvinistes, anabaptistes, quakers, etc.). Non. Vous aurez déjà remarqué que seule une douzaine de francs-maçons suivent le cercueil d’Anderson avec Jean-Théophile Desaguliers. Lorsque l’on sait la postérité du nom d’Anderson qui est la sienne désormais, il convient de relativiser la notoriété des hommes de leur vivant. Puis, vous aurez remarqué que les Frères n’ont fait aucun discours, aucune envolée lyrique. Ils ont simplement levé les mains, soupiré, et frappé leurs tabliers trois fois. Car oui, les frères étaient venus avec leurs tabliers à l’enterrement. Mais surtout, ils ont fait un geste qui se pratique toujours dans la franc-maçonnerie anglaise, celle de frapper le tablier comme un coup de maillet. Coups de maillets, c’est d’ailleurs ainsi que l’on pourrait interpréter le geste qui rappelle une sorte de batterie. Un geste simple. Sans paroles. Sans fioritures. Mais qui fut le dernier hommage de Frères pour accompagner l’un des leurs dans sa dernière demeure.
Je ne sais vous. Mais moi, au jour de mon dernier repos, j’aimerais une telle triple batterie comme celle que reçut James Anderson par ceux qui l’aimaient.