Tradition
Musée de la franc-maçonnerie (coll. GODF)

Mademoiselle et très cher Frère

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Le Musée de la franc-maçonnerie a récemment acquis le cuivre  d’une étonnante estampe satirique anglaise représentant le célèbre chevalier d’Éon en décors maçonniques. Ambassadeur, militaire, espion… mais surtout quarante-neuf ans homme et trente-trois ans femme, Charles d’Éon de Beaumont (1728-1810) défraya la chronique en son temps. Or « la chevalière » ‒ alors chevalier ! ‒ avait été reçue maçon. La gravure met en scène le paradoxe de ce frère devenu femme dans une maçonnerie qui leur était interdite en Grande-Bretagne.

À partir de 1770, des rumeurs courent, insinuant que le diplomate français en poste à Londres serait en fait une femme ayant pris dès sa jeunesse les habits et le mode de vie des hommes. L’opinion se passionne pour le cas d’Éon qui donne lieu à de très nombreux articles dans la presse et alimente les conversations dans les salons, les clubs et les pubs. Après une longue procédure lancée par des parieurs pour se départager ‒ et à laquelle d’Éon est étranger ‒ les tribunaux anglais le reconnaissent comme une femme le 1er juillet 1777. Verdict qui, aussi curieux que cela puisse paraître, fut pris sur la foi de témoignages et sans examen anatomique « approfondi » du chevalier. Le 27 août 1777, Louis XVI signe un décret lui imposant de « reprendre les habillements de son sexe » pour faire cesser le scandale du travestissement. À partir de ce moment et jusqu’à sa mort, d’Éon s’habillera en femme.
Alors homme, le chevalier d’Éon a été initié à Londres en mai 1768 dans la loge française L’Immortalité de l’Ordre (qui dépendait de la Grande Loge des Moderns). La loge avait été fondée en 1766 par un de ces aventuriers si typiques du XVIIIe siècle : Jean de Vignolles, un ancien moine devenu espion au service des Pays-Bas. D’Éon est un maçon actif, deuxième surveillant de l’atelier, les archives conservent également les traces de ses visites comme celle qu’il fit à une autre loge française de Londres, L’Amitié. C’est aussi l’époque où il devient un intime du vice-amiral comte Ferrers (1722-1778), tout juste descendu de la charge de Grand Maître de la Grande Loge (1762-1764). L’engagement maçonnique du chevalier ne passa pas inaperçu puisque dans sa virulente polémique contre les Moderns, Laurence Dermott n’oublia pas de les accuser « d’avoir admis [en Loge] une femme appelée Madame d’Éon » (Ahiman Rezon, édition de 1778). Dessinée par Godfrey et publiée par Hooper en 1771, notre estampe illustre ce « scandale maçonnique ».

Son caractère de Maçon est ineffaçable
De retour en France en 1777, la chevalière suscite d’emblée un grand intérêt dans sa patrie retrouvée. Elle est même présentée à la cour le 23 novembre... en robe à paniers et corset ! D’Éon n’est plus l’éphèbe de sa jeunesse et l’apparition de ce quinquagénaire bedonnant dans cette tenue crée un certain effroi dans la galerie des Glaces. Sa qualité maçonnique est connue des frères français et son cas – emblématique de la question du sexe dans les loges – y suscite des débats. À quelques pas du château, la loge versaillaise Les Trois Frères Unis s’interroge : « son caractère de Maçon est ineffaçable. Les habits de son sexe l’éloignent de notre sanctuaire. Peut-on faire en faveur de son caractère ce que la loi interdit au costume et au sexe ? »  Recevoir « la chevalière » était un événement et il semble que certaines loges n’hésitèrent pas à la convier sur leurs colonnes à commencer par les célèbres Neuf Sœurs. Quelques mois après, retirée à Tonnerre, sa cité natale, où le roi l’avait finalement assignée à résidence, la chevalière fréquente la loge Les Amis Réunis. Les maçons de Tonnerre, qui avaient grandi avec lui, savaient probablement fort bien que d’Éon était un homme. Mais, prudents, pour respecter à la fois le décret du roi et les règlements du Grand Orient… ils s’abstinrent d’indiquer sa présence – pourtant attestée par plusieurs témoignages – sur leur registre. Les maçons d’Auxerre, qui l’invitent à l’inauguration de leur nouveau temple en 1785, lui donnent respectueusement du « Mademoiselle et très cher Frère » !

Aventurière du siècle des Lumières, héroïne de roman et de théâtre au XIXe siècle, revendiquée par les « gender studies » aujourd’hui, Mademoiselle, notre très cher Frère, n’a cessé d’intriguer et d’interroger.

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