Le 8 novembre 2016, la rencontre des loges Léonard de Vinci et Ad Europam au siège du Grand Orient de France autour d’une « Controverse sur l’Europe » a fait salle comble (1). Cette controverse intervient au moment où antieuropéens, eurosceptiques, ou tout simplement déçus d’une Europe tout d’abord plébiscitée, sont de plus en plus nombreux à faire entendre leurs voix. Que traduisent ces mouvements ? Nous avons posé la question à André Bellon, président de l’association pour une Constituante.
Hélène Cuny : Pourquoi aujourd’hui un débat sur l’Europe ?
André Bellon : Le débat est mûr, car l’Europe et de manière générale les grandes démocraties doivent faire face à une crise de la représentativité. Les citoyens, éduqués, informés sur des domaines aussi variés que l’écologie, l’éducation, l’économie, ne se sentent pas écoutés, pire ils se sentent méprisés. Au sein même de l’Union européenne, il existe un réel déficit de démocratie face auquel les élites et les parlementaires font la sourde oreille. Pourtant, les faits sont bien là : en 1992, le traité de Maastricht n’est passé qu’à 1 % près ; en 2005, les Français par référendum ont voté « non » (54,69 % des suffrages exprimés) à l’établissement du Traité pour une Constitution européenne. Malgré ce choix, deux ans plus tard le traité de Lisbonne, reprenant les principaux éléments de 2005, a été ratifié en France, par les parlementaires, bafouant l’avis du peuple. Plus proche de nous, en 2008, nous avons eu la crise de la zone euro avec la Grèce, et en 2016, le Brexit des Britanniques. Tout cela montre un décrochage des peuples, qu’on a superbement ignorés. Il se traduit aujourd’hui par la montée des extrémismes.
HC : D’où vient cette non-prise en considération ?
AB : L’Europe est composée d’un ensemble de peuples très attachés à leur souveraineté, tous distincts de par leur langue, leur l’histoire et leurs intérêts géostratégiques. Or, les forces qui ont fait l’Europe se sont toujours plutôt montrées hostiles aux souverainetés populaires. Pour imposer leur dogme, elles n’ont d’ailleurs pas hésité à se placer de manière arrogante au-dessus des citoyens. De mon point de vue, l’Europe doit fondamentalement être une coordination interétatique, et non pas une structure fédérale, comme aux États-Unis. L’idéologie du fédéralisme sert de paravent pour supprimer les souverainetés nationales et les remplacer par une souveraineté démocratique réduite à néant. Ce scénario, les peuples n’en veulent pas.
HC : Comment redonner du souffle démocratique à l’Europe ?
AB : Refonder l’Europe sur des bases démocratiques apparait d’une urgente nécessité. D’où l’idée d’un débat, mais entre qui et qui ? C’est bien la question. S’il s’agit comme jusqu’alors d’un débat entre les parlements nationaux, on se trouvera entre des forces qui se mettront d’accord entre elles sans se remettre en cause. Le résultat sera nul. Le fait de donner plus de pouvoir au parlement européen ne changera rien au fond. Hubert Védrine, proche collaborateur de François Mitterrand durant quatorze ans a proposé l’idée d’une conférence, sur le modèle de celle de Messine (2). Elle réunirait des gouvernements, mais exclurait les institutions européennes dans un premier temps afin de réfléchir à la valeur ajoutée d’une Europe qui doit cesser de se mêler de tout, de réglementer sur tout, et de soumettre à ses volontés les niveaux national, régional ou local. Pourquoi pas ? C’est une piste intéressante. Ce qui est certain, c’est que l’Europe a besoin de retrouver une légitimité politique et elle ne pourra le faire qu’avec le peuple et non contre lui.
1 : La revue Humanisme dans son numéro 314 de février 2017 relate les échanges intervenus lors de cette soirée. La controverse se poursuit à Grenoble le 24 mars et à Tours le 28 avril.
2 : la conférence de Messine s’est tenue en 1955. Elle a conduit au Traité de Rome.