En amont de la Renaissance, l’époque médiévale ne fut sans doute pas la longue nuit que les manuels d’histoire ont quelquefois dépeinte. Reste que le rôle dominant de l’Église n’y fut pas favorable à la pensée rationnelle, ni à la science, ni à la liberté des hommes. La théologie imposa des dogmes souvent obscurantistes, et elle se fit projet de domination multiforme tant des corps que des consciences. Elle inspira des violences sinistres à partir de la théorie des « deux glaives », temporel et spirituel, chère à Saint Bernard : bûchers de l’Inquisition, croisades, répressions cruelles contre les hérésies de ceux qui ne croyaient pas comme il faut. L’indépendance de l’art et de la recherche scientifique ne fut pas respectée, et l’héritage des philosophies antiques fut méconnu ou travesti. Dans les universités, comme la Sorbonne, des méthodes sclérosées d’enseignement asphyxiaient tout esprit critique, quand elles ne le rendaient pas impossible. Répétitions mécaniques, apprentissages par cœur, inculcation sans distance s’abritaient sous un aristotélisme revu et corrigé pour les besoins d’une catéchèse basique. La scolastique régnait, sollicitant davantage la mémoire passive que l’intelligence. Vint la Renaissance, époque de grandes découvertes scientifiques et géographiques, et d’inventions aussi essentielles que celles de l’imprimerie et de la lunette astronomique. Les grands humanismes des philosophies antiques, redécouverts, nourrirent à nouveau la réflexion sur les choses de la vie. Bref, une nouvelle époque apparut, qui marqua tout un siècle, de 1500 à 1600. Renaissance… Renaître au corps, renaître à la pensée, renaître à l’humanité joyeuse. François Rabelais, en parallèle à Montaigne, refonda un art de vivre, inventa le conte philosophique, contesta le fanatisme religieux, déverrouilla les horizons de la culture. Il voulut faire rire ses lecteurs, à la fois pour stimuler leur hygiène de vie et pour les conduire à penser. Sa soif ne fut pas que de vin, mais aussi, et surtout de ce breuvage qu’on appelle culture. Il laissa en héritage quelques formules célèbres qui enrichirent l’imaginaire philosophique. Place au romancier, médecin et philosophe, inventeur d’une abbaye de la liberté (Thélème), qui fit rêver sur la « Dive bouteille » et la « substantifique moelle ». Place à celui qui conçut Panurge (Panourgos : l’homme à tout faire), ce personnage qui fit se noyer un troupeau de moutons en jouant sur l’instinct grégaire. Dans l’œuvre de Rabelais, tout, ou presque tout, est métaphore de l’agir humain.
Du moine fantasque au médecin romancier
Fils de l’avocat aisé Antoine Rabelais, François Rabelais naît au domaine de la Devinière à Seuilly, près de Chinon, à une date incertaine (1483 ou 1494 selon les auteurs). Il meurt à Paris le 14 avril 1553. Jeune homme, il reçoit l’enseignement classique de l’époque médiévale : le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie). Le voilà bientôt au couvent des Baumettes, dans l’ordre des Franciscains de la stricte observance, appelés cordeliers