Tradition

Le Grand Architecte… du Devoir !

Voici un certificat attribué à Provençal l’Enfant du Génie le 30 octobre 1875 par les compagnons charrons du Devoir de Marseille. « Enfant de Maître Jacques », reçu compagnon le 24 juin 1873 à Paris, pour la Saint-Jean, au cours d’un Tour de France commencé avant la guerre de 1870. Il est de retour à Marseille pour y « remercier » sa société compagnonnique et rentrer dans ses foyers. S’étant comporté avec « probité » et « fidélité », vingt-cinq compagnons signent ce certificat.

Fondé en 1706, le compagnonnage des charrons est alors à son apogée. La traction hippomobile est omniprésente dans les villes comme dans les campagnes, ainsi qu’en témoignent les souvenirs de Ferdinand Flouret*, Dauphiné la Bonne Espérance (1851-1939), reçu compagnon en 1872, que Provençal l’Enfant du Génie a connu durant son périple. Imprimé en lithographie à Marseille, ce certificat illustre à merveille l’ambivalence des symboles entre compagnonnage, franc-maçonnerie et christianisme.

 

Les emprunts maçonniques

Le thème des colonnes J et B est omniprésent dans l’iconographie compagnonnique dès avant le milieu du XIXe. Outre la référence au Temple de Salomon, francs-maçons comme compagnons ont emprunté le thème plus général des deux colonnes à un lieu commun de l’iconographie dès le XVIe siècle : le portique, élément architectural servant de cadre à nombre de frontispices de livres. Même si les colonnes sont ici « compagnonnisées » par des trophées de cannes, l’emprunt est clairement maçonnique : les chapiteaux portent des grenades et les lettres J (akin) et B (oaz) attestent qu’il n’est pas fait référence à Vedrera et Macaloe, noms que, selon une légende, portaient deux autres colonnes sculptées par Maître Jacques, le promulgateur du Devoir, sur le chantier du temple de Jérusalem.

La triponctuation est une pratique empruntée à la franc-maçonnerie qui, elle-même, l’a empruntée à des usages populaires où les trois points, dans les signatures, faisaient référence à la Sainte Trinité. Ici, comme ce n’est pas encore tout à fait l’époque où catholicisme et franc-maçonnerie vont s’entredéchirer et que, au demeurant, les compagnons sont quasi exclusivement catholiques, rien d’étonnant à voir ainsi abrégées, de part et d’autre de la coupole, les devises caractéristiques des charrons : D∴P∴L∴D∴ (Dieu protège le Devoir) et D∴B∴L∴C∴ (Dieu bénit les compagnons). L’amalgame le plus étonnant reste toutefois celui de l’inscription du phylactère déroulé entre lune et soleil par deux génies ailés de style antique, symbolisant la connaissance (flambeau) et la justice : « Honneur Au Grand Architecte Du Devoir De l’Univers » ! « Honneur » apparaît souvent dans les devises compagnonniques. Ainsi, « Labor &Honor » forme celle des compagnons passants tailleurs de pierre depuis au moins le tout début du XVIIIe siècle. Mais même si la notion de Grand Architecte de l’Univers prend ses racines dans le christianisme (voir Sagesse, XI, 20) et qu’on la trouve dans le Premier tome de l’architecture de Philibert Delorme (1567), il est bien évident que c’est à la franc-maçonnerie spéculative qu’est empruntée ici la base de la formule, astucieusement compagnonnisée par l’adjonction de « Devoir » qui désigne la règle des compagnons.

Symboles chrétiens

C’est toutefois dans le catholicisme que prend racine l’essentiel des éléments occupant le centre du diplôme : sainte Catherine, patronne des charrons, que l’on voit dans les cieux avec une des roues brisées de son supplice et portant dans ses mains la palme du martyre et la croix ; au centre, sous une coupole qu’entourent deux roues à douze rais, Maître Jacques, le fondateur légendaire de la plus grande partie des corps compagnonniques. Il est représenté sous les traits d’un personnage porteur si ce n’est de sainteté, du moins de sacralité comme l’indique au-dessus de sa tête le delta rayonnant avec l’œil divin (symbole chrétien avant que d’être un symbole maçonnique). Son costume est celui d’un grand prêtre (l’étole évoque les « couleurs » des compagnons). Il tient le grand livre du Devoir, tandis que sur un guéridon on voit l’équerre et le compas entrecroisés, un encrier et une plume ainsi qu’une feuille de papier (testament du récipiendaire) et un parchemin déroulé (la règle). À leur pied se trouve un crâne avec deux tibias, évoquant tout à la fois l’assassinat de Maître Jacques à la Sainte-Baume et le meurtre d’Hiram. Un caniche royal symbolise la fidélité, vertu compagnonnique fondamentale. Notons aussi la présence près du temple de deux arbustes symboliques : un chêne et un olivier. De part et d’autre de sainte Catherine se remarquent aussi des entrecroisements d’outils entourés de quatre lettres non triponctuées : UVGT autour d’une hache et d’une herminette ; IFAF autour du compas et de l’équerre avec la plane, blason des compagnons charrons. Ces deux fois quatre mots renvoient à des formules secrètes des compagnons. UVGT indique un lien méconnu avec les enfants du Père Soubise, l’autre fondateur légendaire des compagnons du Devoir.

Je reviendrai régulièrement ici sur les légendes de Maître Jacques et le rapport avec saint Jacques le Mineur en tant qu’auteur supposé, autrefois, de l’Épître de Jacques.

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