Si naissance signifie sortir du ventre de sa mère, alors Mary Kingsley est née en 1862 dans le nord de Londres. Mais s’il s’agit de l’instant où l’on commence vraiment à exister alors c’est en embarquant pour l’Afrique que l’aventurière britannique voit le jour au cours de sa trentième année. Mieux valait tard que jamais.
Dans le cocon douçâtre de la bourgeoisie victorienne, Mary Kingsley trompe son ennui en explorant les étagères de la bibliothèque paternelle. Sa curiosité pour les langues étrangères devient insatiable. Privée d’école à cause de la maladie de sa mère, elle voyage par procuration en lisant les lettres que son père — le médecin et écrivain George Kingsley — lui écrit du bout du monde. Ce dernier profite de ses voyages pour récolter des échantillons et des spécimens que sa fille se plait à inventorier.
Marquée par le décès de ses deux parents, sa trentième année est bien sombre. Un clair-obscur plutôt puisque 1892 est aussi celle du départ. Vers la France pour commencer, puis d’îles en îles dans l’archipel des Canaries. Alors que l’année n’est pas achevée, la jeune femme organise elle-même son premier voyage sur le continent africain. L’immensité de ses paysages et la diversité des peuples, des langues et des cultures qui y cohabitent la fascinent depuis ses premières lectures. Cette liberté nouvellement acquise constitue l’acte de sa seconde naissance. La vraie.
Mais Mary Kingsley n’oublie rien de son éducation british. Des photographies l’attestent, c’est en robe noire en crinoline, coiffée d’un chapeau assorti et protégée du soleil par un parapluie-ombrelle qu’elle descend la passerelle du bateau à vapeur. Après d’innombrables escales, elle pose le pied à Sao Paolo de Loanda en Angola au début du mois de septembre 1893.
Celle qui s’est enregistrée en tant que « négociante en marchandises » entend non seulement explorer des territoires méconnus mais surtout rencontrer des populations locales pour étudier leurs croyances. Elle se passionnera par exemple pour les fétiches. En plus des spécimens d’insectes, de reptiles et de poissons, Mary Kingsley ramène de ce voyage les pages noircies de ses carnets. Ils alimenteront les ouvrages qu’elle fera paraître après son retour en Angleterre début janvier 1894. Fortement nimbées par le prestige de l’Angleterre victorienne, ses idées seront toujours moins féministes que ne le fut l’atypique trajectoire de sa vie. Dans son pays, elle commence à se faire connaître du grand public. Mais le goût du large est trop fort. Quatre mois plus tard, l’aventurière met le cap sur Libreville — localité bien nommée — et s’empresse de remonter, pagaie à la main, le fleuve Ogooué. Elle pénètre dans des zones non cartographiées et rencontre des Fangs, un peuple jusqu’alors considéré comme cannibale.
Entre le Nigéria et le Cameroun, l’océan vert de la forêt équatoriale lèche les pieds de La montagne des dieux. Le sommet de ce volcan actif culmine à plus de 4000 mètres. Mary Kingsley souhaite partir à l’assaut du géant une trentaine d’années seulement après la première ascension par un Européen Richard Francis Burton en 1861. L’itinéraire qu’elle choisit est inédit. Par malchance, lorsqu’elle arrive au sommet, les nuages dissimulent le paysage. Qu’importe ! Elle est la première femme à y parvenir. Avec une langue imagée, Mary Kingsley relate cette expédition dans Travels in West Africa publié deux ans plus tard. Après un retour à Londres, elle s’engage en pleine guerre de Boers comme infirmière au Cap en Afrique du Sud. Elle succombera à la fièvre typhoïde.
Rudyard Kipling aimait dire de son amie qu’« elle connaissait sûrement la peur mais personne n’a jamais su découvrir de quoi ». L’ennui et le conformisme pourrait-être des éléments de réponse…