Société

L’écologie dans la franc-maçonnerie traditionnelle

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L’écologie moderne ou politique se voulant rationnelle ne sait pas encore parler aux consciences. Voulant imposer sa vision restrictive, elle se contente d’affirmer des constats souvent dogmatiques et toujours négatifs en alignant des chiffres aussi sérieux et aussi impressionnants qu’ils soient.

Il est indiscutable que les crises du réchauffement climatique et de la biodiversité sont consubstantielles. Elles s’interpellent et se mêlent les unes aux autres formant une situation exceptionnelle de grande ampleur qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, car le phénomène auquel nous avons à faire face est à la fois invisible, global, non réversible et non réparable. Devant cette situation la question est de savoir si l’Homme va continuer à rester à la hauteur de ce qu’il y a de plus grand en lui, à savoir conserver une vraie dignité. Il faut que chacun, à son niveau, ressente le devoir impératif de déterminer le sens, c’est-à-dire la signification de cette crise, puis de mobiliser les moyens les plus adéquats pour en anticiper et réduire l’impact. Nous avons l’ardente obligation de nous adapter et répondre aux menaces de ce monde nouveau qui peut nous faire disparaitre. 

La franc-maçonnerie, ayant pour but de contribuer au bonheur moral de l’Humanité tout entière, est clairement concernée. Les réponses à la crise et à son impact sur les générations présentes et futures sont au cœur de ses valeurs fondamentales. Au-delà de l’analyse sociétale nécessaire et de l’analyse scientifique indispensable, son approche humaniste est essentielle, car sans elle rien ne pourra se faire. 

La situation juridique sur le plan international

On est bien obligé de partir d’un constat. Face à ce phénomène global et planétaire, ni les États ni le droit international n’ont pris les choses en main : c’est la société civile, en organisant les recours devant les tribunaux qui a permis l’élaboration d’un nouveau droit climatique.

La faiblesse du droit international est patente puisque la Convention de 1992 sur le climat qui devait rassembler 195 États comporte, en réalité, trois défauts majeurs. La première est la règle de l’unanimité, la deuxième est celle du principe des responsabilités communes, mais différenciées, la troisième est celle résultant de l’article 3 § 5 de la Convention selon lequel la lutte contre le réchauffement climatique au niveau international ne doit pas contrarier le commerce international.

Si l’on ajoute qu’il n’existe pas de juridiction internationale compétente pour poursuivre les États, on peut comprendre que l’Accord de Paris, qui a essayé de fixer des limites au réchauffement et de mobiliser des moyens pour y parvenir, est totalement atypique en droit international. Ceci explique pourquoi certains tout en reconnaissant son intérêt fondamental discutent également de son caractère obligatoire.

À l’initiative de la société civile, plus de 1500 procès sont en cours dans le monde entier dont certains dirigés contre les grandes entreprises, pour les obliger à abandonner une politique ou un comportement qui est ouvertement anticlimatique. Les jugements les plus importants sont ceux qui ont défini et mis en œuvre un principe fondamental : l’obligation climatique, qui doit s’imposer à tous et en particulier aux États.

Trois jugements récents en faveur du climat

1) La Cour Suprême de Hollande, dans la décision Urgenda (20 décembre 2019) qui se fonde sur les articles 2 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui protège la vie et l’environnement, a enjoint au gouvernement néerlandais d’augmenter son devoir de diminution d’émissions de gaz à effet de serre.

2) Les arrêts du Conseil d’État rendus dans l’affaire dite de Grande-Synthe, cette commune qui est en dessous du niveau de la mer et risque d’être submergée à la fin du siècle. Elle a obtenu du Conseil d’État dans deux décisions du 19 novembre 2020 et du 1er juillet 2021 la reconnaissance du caractère impératif de la règle de la limite d’augmentation de 1,5° à la fin du siècle. Cette règle a été reprise et développée par l’Union européenne dans son programme exceptionnel connu sous le nom de Green Deal, qui est une véritable révolution du droit de l’environnement classique.

3) La dernière décision des juges constitutionnels de la Cour de Karlsruhe qui a critiqué le plan allemand de lutte contre le réchauffement climatique. Elle s’est intéressée non pas à la période allant jusqu’à 2030, qui a été considérée comme conduite correctement, mais à la période 2030/2050 qui devrait être, en principe, celle de la neutralité des émissions face à nos capacités de compenser les émissions de carbone. Dans cette décision elle s’est appuyée sur le concept des générations futures.

L’apport de la franc-maçonnerie

Quand les fondateurs de la franc-maçonnerie voulaient la liberté, l’égalité et la fraternité entre et pour tous les hommes, il s’agissait d’une vision universelle devant s’appliquer aux générations futures grâce à la contribution de chacun. La pratique de ces valeurs permettait d’imaginer un monde vivant dans la paix et l’harmonie entre les hommes et avec la nature.  

Il faut rappeler, comme l’a magistralement écrit Paul Ricœur, que c’est « dans la conscience individuelle que l’humanité joue toujours son destin ». Nous devons pour cela reconnaitre nos limites ce qui devrait nous rendre libres, car, comme l’a écrit Corinne Pelluchon, « nous considérant comme une partie d’un tout nous voyons que le respect de la nature ne dépend pas seulement de normes, mais de la compréhension profonde de nos interactions avec elle, il faut donc changer de direction du regard ». Sur le plan de l’éthique, la crise liée aux risques engendrés par les bouleversements du climat et de la biodiversité implique de la part de chacun de se sentir responsable. Dans ce but il faut ajouter à une responsabilité horizontale immédiate, illustrée par cette interrogation « qu’as-tu fait de ton frère ? », une responsabilité verticale qui peut être formulée de la façon suivante « qu’as-tu fais et que fais-tu pour ta descendance ? ». 

À la différence de la précédente, cette responsabilité est sans sanction directe ou indirecte de façon immédiate et même médiate ; en réalité, cette obligation s’inscrit dans un devoir décliné du précédent, qui n’est sanctionné que sur le plan moral. Reconnaissons que sa conception et sa pratique semblent avoir été ignorées ou pour le moins oubliées par le monde  contemporain. 

Pour les raisons évoquées plus haut, la franc-maçonnerie peut et doit apporter les éléments de solution. N‘étant ni politique ni religieuse, elle est la seule à pouvoir efficacement corriger et rectifier la vision radicale généralement adoptée de la crise écologique en lui apportant une autre dimension.

Il ne faut pas se tromper. Penser seulement à sauver matériellement la planète est une erreur d’aiguillage du raisonnement. Sauver la victime d’une agression et la mettre à l’abri ne sert à rien si le responsable identifié n’est pas empêché d’agir. Or, les travaux du GIEC (Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur la crise du réchauffement climatique de la planète Terre nous apprennent que c’est l’Homme, par son nombre croissant et ses pratiques, qui en est le principal responsable. C’est donc lui qui est seul susceptible de changer les choses par son action propre. Or l’expérience passée nous apprend que celle-ci ne peut aboutir par le biais d’une révolution, mais plutôt par une conversion du regard et de l’action.

Notons que franc-maçonnerie et écologie ont des ennemis communs : le premier ennemi est celui de la stricte modernité fondée sur la seule confiance dans le progrès matériel et technique ; le deuxième est celui de la volonté de consommation effrénée et l’injustice en résultant pour tous ceux qui ne peuvent en bénéficier ; le dernier, et non le moindre, est celui de l’individualisme qui sépare et oppose les humains entre eux.

L’expérience de près de trois siècles de combats maçonniques contre ces ennemis du bien commun, montre que pour y répondre efficacement et convaincre, le discours doit être organisé et structuré. Pour répondre à cette crise, il doit s’appuyer sur des référents contenus dans une nouvelle éthique, celle du devoir vis-à-vis des générations futures. Une fois de plus, au nom de l’intérêt général, la primauté reconnue aux droits individuels doit s’effacer en raison et compte tenu de l’urgence de la situation actuelle. Dans ce cadre, la franc-maçonnerie où il n’y a pas de droit, mais des devoirs, est la mieux placée pour construire et promouvoir cette nouvelle éthique.

La franc-maçonnerie, étant appelée à poursuivre le progrès moral de l’Humanité, est tournée tout entière vers l’universel. La méthode maçonnique peut aider à la recherche de la vérité, étant entendu que le contraire de la vérité n’est pas l’erreur, mais le mensonge. La tolérance vraie qu’elle pratique permet le discours partagé sur les vraies questions à savoir ici l’adhésion à un principe fondamental qui est celui du maintien de la dignité humaine dans la reconnaissance d’autrui. À cette fin, nous devons faire débattre le sujet dans nos institutions, à travers et au-delà de nos obédiences, en vue de développer les bases d’une véritable écosophie liée à notre culture traditionnelle ; nous devons vis-à-vis de la société être une référence pour un discours complexe et organisé.

En conclusion nous ne devons pas chercher à être un outil d’influence ou une caisse de résonnance. Nous devons, dans un premier temps, construire une relation fondamentale et discrète entre tous nos Frères et Sœurs pour mettre en évidence que nos symboles universels font référence à la construction harmonieuse de notre Maison Commune dans la durée et pour le futur. La crise met cette harmonie en péril. Ouvrons la voie à son rétablissement.

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