La franc-maçonnerie grecque a une histoire compliquée. Aussi mouvementée que celle d’un pays dont la naissance fut douloureuse et dont l’existence même fut menacée sous différentes formes jusqu’à une époque récente.
D’où un fort nationalisme dans tous les courants de l’opinion grecque que les Européens de l’ouest ont parfois d’autant plus de mal à comprendre qu’il est très fortement lié à une identité nationale vécue comme consubstantielle à la religion orthodoxe.
La franc-maçonnerie grecque n’échappe pas, elle non plus à ce tropisme national et religieux. Contrairement à ce qui s’est passé, et se passe encore dans la sphère catholique, les autorités orthodoxes grecques, si elles ont dans le passé lancé des mises en garde contre les influences libérales italienne et française dans la franc-maçonnerie hellène, n’ont jamais frappé d’excommunication les francs-maçons. On trouve même plusieurs hauts dignitaires de l’Église orthodoxe, ayant reçu l’initiation à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.
Introduite en 1782 à Corfou alors vénitienne, la franc-maçonnerie perdura sous les dominations française puis anglaise de l’île. Le développement ultérieur des loges fut erratique, marqué par diverses influences étrangères. Et jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il exista bien davantage une franc-maçonnerie fréquentée par des Grecs qu’une maçonnerie nationale grecque. Que ce soit à Paris, Marseille, Vienne, Genève et surtout à Saint-Pétersbourg, la franc-maçonnerie des Grecs fut avant tout une franc-maçonnerie d’exil. Celle-ci joua même parfois un rôle décisif dans les pays d’accueil. C’est ainsi par exemple, que le héros national et chef de guerre Alexandre Ypsilantis (1792-1828) qui tenta d’arracher les territoires de l’actuelle Roumanie à la domination ottomane, fut initié à Saint-Petersbourg où il fonda la loge Palestine qui, en 1815, créa, la Grande Loge Astrée avec les loges de Saint-Pétersbourg Pierre à la Vérité, Isis de Réval et Neptune à l’Espérance de Kronstadt.
Nombreux sont les frères qui occupèrent une place importante dans l’histoire de la Grèce indépendante, à commencer par le Crétois Elefthèrios Venizélos (1864-1936), Premier ministre, considéré comme le père de la Grèce moderne. Sous son autorité eut lieu le rattachement tardif de la Crète à la mère patrie. Mais il lança aussi après la Première Guerre mondiale, une désastreuse campagne militaire contre la Turquie qui se solda en retour par l’expulsion des Grecs d’Asie Mineure, évènement resté dans la mémoire grecque comme la grande Catastrophe.
Peut-être est-ce parce que les Grecs ont dû faire face à tant d’aléas et de malheurs historiques, qu’ils ont acquis une certaine nonchalance philosophique dont la taverne est le lieu emblématique. Sous d’imposants platanes où face à la grande bleue, le temps s’arrête et donne naissance à des amitiés d’une heure ou éternelles autour d’une carafe de Retsina, ce vin blanc léger, parfumé à la résine de pin d’Alep dont la Macédoine, première région viticole de Grèce est grande productrice. Ce breuvage antique dont l’origine remonte à l’époque où l’on enduisait de résine l’intérieur des outres est élaboré à partir des cépages Savatiano et Rhoditis. Il existe aussi en version rosé. Une tendance moderne penche vers des vins plus neutres au goût de résine moins prononcé. C’est bien dommage. Car à vouloir mondialiser son vin en lui faisant perdre cette légère amertume qui évoque des jours lointains aussi glorieux que difficiles la Grèce risquerait d’y perdre aussi son âme.