Il existe plusieurs façons d’aimer une personne et de lui manifester cet attachement. L’amitié n’est pas l’amour, même si son intensité, parfois, peut sembler brouiller la frontière, comme dans la célèbre relation qui liait Montaigne et La Boétie. N’avait-elle pas une dimension amoureuse ? Rien n’est sûr à ce sujet, car la vie privée a ses secrets inaccessibles. Pourquoi la philosophie s’intéresse-t-elle à l’amitié au point de lui consacrer des réflexions nourries, comme Aristote, Épicure, Montaigne et Spinoza ? Même question pour la littérature, avec La Fontaine, Stendhal ou Tournier. D’abord parce que l’amitié est en jeu dans la vie personnelle accomplie, donc dans la quête du bonheur. Ensuite parce que l’intersubjectivité amicale peut se déployer dans la vie commune et y engendrer un autre type d’amitié, fondement de la solidarité, du civisme, et de l’agir moral. Ainsi conçue à l’échelle sociale, elle y joue un rôle éthique et civique essentiel. Un rôle que certains philosophes, chacun à sa manière, ont souligné en liant l’éclairage de l’anthropologie et celui de la politique : une certaine idée de la Cité implique une certaine idée de l’homme, et vice-versa. La question de l’amitié (en grec philia) s’étend donc à l’art de faire vivre harmonieusement la communauté (en grec koinonia) et d’en prévenir toute dérive conflictuelle. Approfondissons.
Un peu de vocabulaire. Le terme le plus large est celui de philia, qui en grec ancien englobe toute forme d’attachement affectif, amical ou amoureux. Philia, c’est d’abord le fait même de la relation à l’autre. Son « utilité » ne la disqualifie pas, du moins dans une conception qui ne sépare pas l’éthique de la vie sociale et politique. Plus généralement il désigne une attirance, raisonnée ou non, pour une personne, une activité, ou un genre de réalité. La philosophie est l’amour de la sagesse, la philanthropie l’amour de l’humanité. Pour la R