De tradition pendant le carême et à Pâques, la morue est un poisson paradoxal qui revêt mille apparences différentes ou presque. C’est en effet le poisson qui subit sans doute le plus de transformations identitaires.
Du temps où la France était culturellement paysanne et catholique, il fallait manger maigre en cette période, en privilégiant le poisson. Or, la morue était bon marché, facile à sécher, à saler ou à fumer et à conserver. Qui plus est, elle était facile à transporter et, de ce fait pénétrait les villages les plus reculés au fin fond des campagnes, ce qui permettait de respecter les jours maigres.
La grande épopée de la pêche à la morue
Historiquement, ce sont les Vikings, les Basques, les Bretons et les Normands qui sont allés les premiers pêcher ce poisson dans les mers froides nordiques, notamment à Terre-Neuve, d’où leur nom de Terre-Neuvas. Très abondant, on le surnommait « le pain des marées » ou « l’amie fidèle ».
Une identité trouble
Mais le plus curieux dans cette aventure, c’est qu’aucun poisson vivant dans les eaux des mers et des océans ne s’est jamais appelé morue. La morue n’a d’existence qu’une fois pêchée (donc morte) et apprêtée. Car ce poisson qu’on appelle morue est en fait un cabillaud quand il évolue sous l’eau. Mais ce n’est pas tout, car il peut alors subir plusieurs traitements et prendre différentes identités.
Pour devenir morue salée, dite aussi « morue verte » (à cause des reflets glauques, mot désignant à l’origine une couleur) ou « morue repaquée », elle doit d’abord être salée en saumure, puis ressalée au sel sec une fois débarquée. Autrefois, elle se vendait en tonneaux. Pour devenir morue salée et séchée ou « merluche », au retour de la pêche, elle est séchée sur des « pendilles » séchoirs en bois le long des côtes, comme à Bègles près de Bordeaux ou aux îles Lofoten en Norvège. Autrefois, on la séchait aussi sur des galets comme à Bayonne. C’est le bacalao des Espagnols ou le bacalhau des Portugais.
Enfin, étêté et vidé, le cabillaud peut être séché entier jusqu’à ce qu’il devienne dur comme du bois d’où son nom de stockfish (poisson-bâton). On cuisine aussi ses tripes comme dans l’estofinado rouergat ou l’estoficada niçoise.
Quant à l’appellation « morue fraîche » qu’emploient certains restaurateurs, elle est indue dans la mesure où il s’agit de cabillaud salé quelques heures en cuisine.
Fausses morues et faux frères
Mais il y a aussi les fausses morues, poissons qui peuvent être traités de la même façon car eux aussi de la famille des Gadidés, mais commercialisés sous ce dernier vocable. Ce sont le lieu noir, la lingue fraîche (ou julienne) et le brosme et, dans une moindre mesure, le lieu jaune et la lingue bleue.
Quand une loge planche sur la morue
Toutefois, heureusement, dans cette famille nombreuse, il n’y a pas que des faux frères. Ainsi, le 5/10/2017, Bernard Dublanche — ancien vénérable de la loge de la Fraternité (qui dépend du Grand Orient) de Brive — rapportait dans le journal La Montagne que la loge planche parfois sur de curieux thèmes puisqu’un frère professeur de mathématiques a présenté un exposé sur « l’influence des marées sur les queues de morue ». Une tenue qui n’a sans doute pas manqué de sel.