Dans la matinée du 6 mai 1833, Horace Vernet (1789-1863) embarque sur la Comète, un bâtiment de seize canons mis à sa disposition par le ministre de la Marine pour immortaliser la conquête de l’Algérie débutée trois ans plus tôt.
En s’éloignant, l’agitation populeuse du port de Toulon laisse place à l’horizon. Mais l’absence de vent contraint le voilier à faire escale à Cagliari, ville sarde que le voyageur décrit comme étant « l’antichambre de l’Afrique » . Alors que le rivage algérien finit par se dessiner, Horace Vernet se remémore les récits enflammés de Mustapha, serviteur et modèle de son ami Géricault, rencontré vingt ans plus tôt dans l’atelier de son père Carle Vernet (1758-1836). Déjà, l’Orient fascinait le jeune peintre, franc-maçon et fidèle bonapartiste.
Horace Vernet vient de débarquer à Bône — l’ancienne Annaba — et déjà il quitte en pleine nuit la ville. Après plusieurs heures de marche, juché sur un pur-sang musculeux, l’artiste est saisi par la scène que lui révèle l’aurore : « Devant les montagnes de l’Atlas, j’étais au milieu de trois cents Arabes et de cent Turcs, armés de longs fusils, de pistolets… À la vue de tant de choses si nouvelles et si pittoresques, écrit-il dans sa correspondance, j’ai cru que ma tête éclatait. » Des volutes de poussière, un cavalier enveloppé d’un burnous ou la lame étincelante d’un sabre courbe : l’œil de l’artiste moissonne.
Nourri par un fort sentiment biblique, il voit les grandes plaines de Chanaan se superposer aux paysages algériens comme en témoignera Juda et Tamar, une toile orientaliste présentée au Salon de 1839.
Après un intermède de trois ans au cours duquel il se rend à Rome, à Moscou et à Saint-Pétersbourg, Horace Vernet est de retour à Bône. Le 16 novembre 1837, il accompagne 800 soldats à Constantine, une ville conquise par un siège un mois plus tôt.
Autour de lui, le paysage change. Les arbres se font rares, les ravins se creusent. À la tombée du soir, les bivouacs deviennent pour l’artiste des pièces de théâtre, de véritables mines d’or.
À l’issue de quatre jours de marche, tel un rêve des Mille et une Nuits, Constantine le foudroie : « Je n’ai rien vu dans aucun de mes voyages qui m’ait autant frappé. » Courant du matin au soir, il diversifie ses points de vue et acquiert une vigoureuse collection de sujets. L’artiste l’assure déjà, les tableaux qu’il a en tête « ne ressembleront à rien de ce qui a été peint ».
Après leur présentation au Salon de 1839, ces trois grands tableaux célébrant la prise de Constantine sont installés au musée de Versailles selon le souhait de Louis Philippe. Mais déjà le peintre-nomade ambitionne de moissonner ailleurs et entame quelques semaines plus tard un grand voyage en direction de l’Égypte.