On n’est pas l’historien de son temps, encore moins peut-être en philosophie qu’ailleurs. Pris dans la nécessité des parcours particuliers, dans l’épigonalité tenace des chapelles et des familles d’esprit, dans la loyauté des amitiés et des destins, victime des polémiques incessantes de notre temps, nous perdons pied dans l’actualité qui s’étale sous nos yeux sur les tables des librairies, et leur changement saisonnier. Pourtant, sous nos yeux distraits, la philosophie continue de s’écrire, produisant encore toujours des œuvres importantes et intéressantes, mais dont les échos sont parfois réservés à de très petits cercles. La FM, n’ayant pas d’autre philosophie que celle qu’on veut bien lui donner, puisque le symbole sera toujours mutique et la fraternité limitée, peut gagner à chercher dans la production contemporaine des idées neuves et des éclairages inédits. On dira que la Tradition primordiale n’a besoin de rien, et c’est vrai : les Modernes veulent faire l’avenir par les Lumières, et les Anciens voient l’origine dans la Tradition. Mais les Frères, qui cheminent à leur rythme dans les structures établies, peinent souvent à tirer le meilleur du monde contemporain. Nous voulons nous adresser à ce besoin d’ouverture et de recherche, qui est là pour soutenir et non contredire le besoin de solidité et de tradition.
Ce besoin d’ouverture et d’aventure est loin d’être étranger à l’œuvre de Jacques Rancière (1940-), philosophie français marqué comme toute sa génération par la Rue d’Ulm des années Althusser, l’enseignement à Vincennes, et considéré trop souvent comme un marxiste, de ce fait. C’était le temps où le marxisme n’était même plus « l’horizon indépassable de notre temps » comme avait dit Sartre, mais le savoir absolu, surplombant l’Histoire et l’expérience politique elle-même . Anti-platonicien comme toute sa génération, Jacques Ranc